À part Cohen (Belle du Seigneur), parmi tous les auteurs inspirés par l'Amour passionnel, je ne connais pas de pages plus sublimes, plus désespérées que celles que Serge Doubrovsky consacre à Else, qui s'est tuée à la vodka, qui l'a donc trahi, que lui n'a pas pu sauver et qu'il a pour finir mise en urne. L'amour fait cendres ! On se brûle à ce livre, on s'y égare, on s'y noie, comme la pauvre Léopoldine, la fille du Poète. Précisément, c'est sur le poème de Victor Hugo que le « roman » se clôt, comme une épitaphe. C'est le choix de l'auteur. Juste avant le point final (lui qui a horreur des points, car la vie, elle, ne s'arrête jamais), sans nul doute a-t-il eu tout de même besoin de cette voix fraternelle, provisoirement paisible sinon apaisée. Sur la page écorchée, où Serge s'est gratté jusqu'au sang, l'élégie de Victor est baume et assèchement….


… les larmes me dégoulinent sur les joues, le flot de tes paroles se tait, le flux de mes mots s'est tari, brusquement, à ma fenêtre de New York, ça revient, remonte, de loin, si loin, des entrailles de l'enfance, les tropes des tripe, le samedi, ma mère m'emmène, matinée poétique au Français, un bambin des années 30, je bondis de joie, mon petit, dépêche-toi si on veut avoir de bonnes places, je me hâte, de toutes mes jambes, de tout mon être, c'est d'avant moi, d'avant-mémoire, d'avant-naître, retentit au Trocadéro, c'est d'avant ma mère, d'avant mon oncle, ça me revient d'outre-tombe, ça me remonte d'outre-langue, ma mère dit, il y aura Denis d'Inès dans Les Djins, Mary Marquet dans A. Villequier, soudain, là, par les lèvres entrouvertes des deux gratte-ciel, par la bouche de lumière, toi, Erlkönig, tu as Goethe, moi Hugo




Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.

Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur