En février dernier, l'Assemblée générale de l' APGL (Association des Parents gays et lesbiens) débuta par une motion de soutien : Emmanuelle et Laurence, malgré la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme, venaient de se voir à nouveau refuser par le Président du Conseil général du Jura leur demande d'agrément pour adopter.Un an plus tôt, nos amies, présentes cette fois, recevaient de notre part une standing ovation pour leur combat persévérant. La Cour européenne avait tranché : elle confirmait le caractère discriminatoire des motifs du refus.Novembre 2009, l'affaire se dénoue enfin.

Plus que d'acharnement, en l'occurrence celui d'un élu local, ne s'agit-il pas de l'inconséquence d'une Nation qui, comme pour ses geôles indignes, n'en fait qu'à sa tête ? Incohérence surtout. En matière de procréation (comme pour l'euthanasie), on assiste à une improvisation au cas par cas. Par exemple lorsque Damien et Sylvie, après avoir eu recours à une mère porteuse californienne et obtenu sur place le statut de parents légaux, ont vu cette décision appuyée par le tribunal de Créteil en 2005, confirmée par la cour d'appel de Paris en 2007 au nom de l' "intérêt supérieur de l'enfant " puis... infirmée en décembre 2008 par la Cour de cassation. Les petites jumelles risquent désormais d'être privées d'état civil en France, l'intérêt de l'enfant ne répondant pas manifestement à la priorité des juges !

En fait, par une sorte d'acharnement herméneutique au nom de sacro-saints principes, une cour annule ce que la précédente avalise. Pendant ce temps, des orphelins attendent, des mères potentielles vieillissent, de futurs parents languissent, se découragent, sont blessés de se sentir parents indignes du fait de leur préférence sexuelle.

Bien sûr, de menus progrès ont été accomplis mais on est loin du compte. Dans nos familles, le parent n'est pas un tiers, il n'est pas un beau-parent, c'est un parent ! Autre déconvenue : lors des préparatifs de la loi dite de bioéthique, l'APGL, bien qu'auditionnée, a été pour finir snobée dans l'organisation des Etats généraux lancés par Roselyne Bachelot. Ainsi, la France, pourtant signataire de la déclaration de l'ONU appelant à l'arrêt des discriminations liées à l'orientation sexuelle et à l'identité du genre, laisse son gouvernement se prendre les pieds dans la carpette de l'immobilisme sociétal frangée d'homophobie. Il est vrai que Sarko 1er, à titre personnel, n'est guère en pointe sur ces questions.

Il faut revenir au réel, abandonner l'idéologie arbitraire que chaque politicien tire à hue et à dia. Aujourd'hui, les familles sont multiples, complémentaires, légitimes. Dans un pays démocratique, tous les schémas devraient pouvoir coexister au regard de la loi : familles monoparentales, recomposées, adoptives, ayant recours à l'IAD (Insémination Artificielle par Donneur) etc. Puisque les familles homoparentales (environ 100 000 en France) font partie intégrante des structures contemporaines, pourquoi les marginaliser, les malmener, continuer de prendre les parents gays pour des apprentis sorciers ?

Regardons ce qui se passe autour de nous : aux Pays-Bas, les couples gays peuvent se marier et adopter des enfants néerlandais. Idem en Espagne (!), en Suède, en Angleterre, au Pays de Galles. Plusieurs états américains (New York, New Jersey, Vermont...) et provinces canadiennes (Québec, Colombie britannique...) autorisent l'adoption conjointe. Tous ces peuples sont-ils à ce point immoraux et irresponsables, en un mot barbares !

Quitte à choquer, j'aimerais pour finir citer ce témoignage. Il y a quelques années, j'ai aidé un couple lesbien grâce à un petit coup de pouce assidu, disons artisanal. Je concluais ainsi un article intitulé " Graine d'espoir " :

« En résumé, pourquoi être créatif de cette manière-là ? Bonne action ? Militance ? Solidarité ? Pied de nez ? Coup de main ? Forcing et happening ... en attendant le happy-end ?! Un peu toutes ces raisons à la fois. Car nous le savons bien, pour nous homos, parents ou futurs parents, la cote sera toujours mal taillée et la solution bancale... d'où l'urgence de forcer le destin - demain, la Loi - et d'arracher au ciel un petit miracle. Ça rappelle au mécréant que je suis une parole de la Bible qui me trotte dans la tête chaque fois que j'aperçois la petite auto bleue de mes amoureuses. C'est au moment où le vigoureux Petros, juste avant de guérir le boiteux de la Belle Porte, s'écrie : « D'or et d'argent, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne... » Nous ne sommes pas riches nous non plus, nous ne sommes que trois artisans un peu bricoleurs et persévérants, en tout cas généreux car nous nous offrons - nous lui offrons, au divin enfançon - le meilleur de nous-mêmes en le tirant du plus profond : l'amour de la vie et le gène du bonheur... dans trois gouttes de bonne humeur ! »

Il n'empêche, jusqu'à quand ce genre d'expédient ? Des homoparents dépréciés et leurs rejetons privés de droits ? Jusqu'à quand une France obscurantiste et un Etat interventionniste ?


Extrait de A BELLES DENTS, Gap, 2011.