Et qui se révolte ? Les éboueurs ? Les salariés de France Telecom ? Les porteuses de niqab ? Non, les objets, les menus objets, mes objets familiers, habituellement bien rangés, bien proprets, au chaud dans ma besace ou au fond de mes poches. Voilà qu'ils disparaissent, les uns après les autres, n'en faisant qu'à leur tête. Façon de parler puisqu'il s'agit de plastique, de verre ou de fer blanc. Moi, je vois rouge !

Ainsi, ma clé USB, si pratique et agile d'un ordinateur à l'autre, toujours en vadrouille entre la rue de Bellechasse et l'avenue Morizet. Envolée ! Disparue ! Introuvable !

Et mon bocal de pruneaux au couvercle réputé hermétique ? Tout à l'heure, dans le métro, je sens soudain quelque chose de tiède sur mon beau pantalon en pure laine vierge. Damned ! Sur mes genoux, mon sac ressemble à une éponge poisseuse. Je le pose en pestant sur le sol cahotant.

Quelques minutes plus tard, un objet atterrit sur mes genoux humides. Il vient de s'échapper des mains de ma voisine d'en face, probablement très nerveuse (comme le sont les Parisiennes entre 19 heures et 20 heures). Nous rions et je lance une facétie. " Wallaby, vous connaissez ? C'est la marque d'un tout nouveau portable. Dès qu'il en a marre du babil féminin, il s'échappe des mains de sa maîtresse !" Nous rions à nouveau tandis que se répand dans la voiture bondée une fragrance de pruneaux à l'Armagnac.

Soudain, je ne ris plus, songeant à une autre clé. Car je viens d'égarer la clé de la boîte aux lettres de mon employeur. Elle aussi, elle a décidé de se faire la belle. Pendant trois jours je la cherche pour la retrouver in fine dans mon casier de la loge : la gardienne (qui lave mon linge) avait dû la trouver dans la poche de ma chemisette. Quelle joie ! Quel soulagement ! Aussitôt, je la fourre dans mon minuscule porte-monnaie. Deux jours plus tard, sur mon lieu de travail, je m'apprête à m'en saisir pour l'accrocher au clou. Damned ! Au milieu des piécettes d'euros, nada. La gredine a de nouveau disparu. Mais où ? Quand ? Comment ? Quelle imprudente manipulation a pu la libérer ? Où s'est-elle volatilisée alors que je la tenais prisonnière ? Ma mémoire reste figée et muette. Mon imagination sans ressorts. Plusieurs fois je tourne et retourne mon escarcelle. Deviendrais-je fou ? Maudite clé migratrice !

Ô rage, ô désespoir, qu'ai-je donc fait au Bon Dieu pour que mes objets familiers me déclarent la guerre, revendiquent leur autonomie, se révoltent contre moi les uns après les autres ! Quel internaute m'a jeté un sort ? Quel auteur envieux a de son porte-plume percé mon effigie ? Et demain, après la clé espiègles, les bocaux dévisseurs, les portables-kangourou, à qui le tour ? Le peigne éborgneur ? Le préservatif constricteur ? La mousse à raser irradiée ?


" Objets trop animés, avez-vous donc une âme ? "