En lisant cet article de la chroniqueuse du Monde, on ne comprend pas vraiment ce qui offusque la dame outragée, ce qu'elle trouve à redire. Certes, après avoir persifflé contre Marc-Edouard Nabe (assimilé à un représentant Cassegrain), la blonde vestale des Belles Lettres appelle à la rescousse Barthes, Kundera, Coetzee et Cie, mais son propos n'est pas clair. En quoi l'anti-édition est-elle un crime de lèse-majesté ? Et l'autopromotion sur la Toile infamante ? Pourquoi un auteur artisan, à l'instar de sa charcutière adorée, ne vanterait-il pas son goûteux ris de mots maison plutôt que de le brader par lots dans les Carremouth de la culture ? Grosso modo, si on lit entre ses lignes confuses, seul un certain esthétisme intellectuel trouverait grâce à ces yeux, un écrivain digne de ce nom ne devant s'occuper que des affaires d'âme ou de style, en laissant aux braves éditeurs, magnanimes et désintéressés, le soin d'écouler la noble production de l'esprit tout en faisant leur beurre en suçant la moelle des auteurs.

À l'heure où le sourire niais de Guillaume Musso fleurit dans tous les abris-bus d'Ile-de-France pour lancer son produit d'appel, ça en dit long sur le savoir-faire des épiciers de pâte à papier et l'abnégation commerciale de leurs poulains dociles ! Bref, chère Raphaëlle, pourquoi cette indignation aussi creuse que vertueuse ? Lisez plutôt mon dernier livre autoproduit et auto-écoulé, bientôt touché coulé tout court : vous y apprendrez les centaines d'euros que l'auteur-loser s'apprête à perdre joyeusement car son ambition, c'est tout sauf de vendre à la criée des mange-tout ou des paires de lunettes, non pas VRP habile et expert en marketing, mais joyeux saboteur de sa propre destinée et éventreur de coffre-fort vide ! D'ailleurs - modernité oblige - une vidéo You Tube n'annonce-t-elle pas déjà urbi et orbi le glorieux naufrage en forme de sabordage promotionnel ?

« (...) Moi qui connais bien Julius, je peux ici l'attester : ce dont il souffre, ce n'est pas de manque d'ambition, pas même d'indolence chronique, encore moins de dandysme, mais d'une gentille névrose, comme tout un chacun. Et de cette névrose souriante mais totalement improductive, les symptômes sont aussi patents et éblouissants que ses ruineuses autoéditions ou ses souscriptions en forme d'omelette norvégienne flapie. C'est un fait, le bougre ne s'est fait auteur que pour s'ausculter l'âme, peaufiner le style, faire jaillir de cette conjonction une jubilation extrême dont il veut prendre à témoin la terre entière en bichonnant et collectionnant des œuvres singulières dont elle n'a nul besoin ! Seule importe alors la trajectoire. Littérature ? Non, lis tes ratures : corrige, écris, corrige, laisse infuser, écris à nouveau, corrige… et jouis-en à l'infini puisque « le style arrache une idée au ciel où elle se mourait d'ennui pour l'enduire du suc absolu de l'instant. » (Bernard Franck). S'enduire de mots et se pourlécher l'âme ! Quant à la glèbe et aux bipèdes…

C'est ainsi qu'une fois il m'a montré un gros cahier rouge à spirales où il note soigneusement, pour chaque titre refusé, le nom de l'Éditeur. J'ai vu que pour une de ses œuvres phares mort-nées, figuraient une bonne quinzaine de noms prestigieux, depuis Gallimarre – à tout Seigneur tout honneur – jusqu'à La Mare aux canards, petit éditeur écolo prometteur sis à Pouilly-en-Auxois. C'est dingue comme Mr Julius est souvent remercié avec autant de courtoisie que d'anonymat ! Lui me dit que c'est bon signe, qu'ainsi beaucoup de forêts seront épargnées. Du coup, ému et reconnaissant, il note le nom et l'adresse de ses providentiels contempteurs, agrafe avec jubilation la liasse de leurs sentences de mort, et il fait ce travail d'archivage non comme on grave en sa chair des stigmates mais comme on aligne d'anciens trophées en cuivre oxydé pour mieux rehausser son propre blason en or massif.

(…) En vérité, il s'agit d'un étrange pari littéraire de la part de l'ami Julius : plus ses lecteurs sont rares et chiches ses royalties, plus l'opus lui apparaît subtil et méritoire. Car sa devise est toute bête et non commerciale : écrire sa vie, vivre son écriture. Et comme disait Cioran : « Celui à qui tout réussit est nécessairement superficiel. Un minimum de déséquilibre s'impose. » Un maximum d'échecs à condition de les transmuer, de les polir et de les transfigurer. Dit autrement : quand une existence est un ratage assumé, l'œuvre et le style ne peuvent confiner qu'au sublime. Et cela ne regarde personne d'autre que l'auteur.
»

Extrait d'À BELLES DENTS, chroniques hypertrophiques, Gap, mars 2011 [vient de paraître].

Encore un mot. L'expérience m'a enseigné ceci : pour avoir nourri et élevé quatre enfants, je suis le mieux placé pour parler d'eux et en dire le plus grand bien. Pour avoir rédigé 17 opus (dont 6 autoédités), je suis aussi le mieux placé pour les rédiger et les écouler moi-même (à prix coûtant voire à perte), loin des kidnappeurs d'enfants-livres ou des grossistes du 6ème arrondissement et d'ailleurs.

Comme disait Paul Valéry dans ses Cahiers, à propos du « sens » d'une œuvre : « l'auteur ne peut le révéler plus légitimement et sûrement que quiconque. »
Avec le moins d'intermédiaires possibles.
Ni traducteurs ni promoteurs.
Hors pub et marchands.
Et toujours sans peur et sans reproche !