Pour Eluana et Piergiorgio


Eluana vient de “ mourir ”. Je mets des guillemets car la jeune femme était plongée dans un coma végétatif depuis 17 ans. Après toutes ces années d'un long combat, sa famille avait finalement obtenu le droit qu'on cesse de l'alimenter au grand dam de l'opinion publique et du Vatican. Le cardinal Javier Lozano Barragon, président du conseil pontifical pour les opérateurs sanitaires du Vatican, parle d'un “abominable assassinat”, tandis que le pape Benoît XVI évoque un “acte indigne de l'homme”. Lundi dernier, le Vatican a officiellement réagi à l'annonce de la mort de la jeune femme en expliquant que “Dieu pardonne aux responsables de sa mort ”. Ouf ! Tout est donc bien qui finit bien.

Il y a quelques mois, toujours en Italie, un cas analogue, la même détermination, la même souffrance des victimes et des familles ; la même obstruction, les mêmes vociférations des politiques et des religieux. Question : ne serait-il pas plus simple à la fin et surtout plus décent que, de chaque côté des Alpes, des dispositions législatives soient prises ? Question subsidiaire : la société française – en refusant qu'une loi intègre un “ principe d'exception ” autorisant une fin de vie dans la dignité – se montrera-t-elle encore longtemps aussi hypocrite et rigoriste que l'Eglise catholique romaine ? Jusqu'à quand cet encadrement coercitif de la naissance et de la mort au nom d'une victimologie exubérante et d'une sacrosainte “ dignité humaine ”, l'une et l'autre invoquées sur le même mode redondant et incantatoire ? Jusqu'à quand, dans les sacristies comme dans l'hémicycle, un tel acharnement… herméneutique ?!

À propos du cas de Piergiorgio Welby (à qui furent refusées des obsèques religieuses) j'avais écrit un texte durant la nuit de Noël. Je viens de le relire avant de le mettre en ligne tel quel : rien à atténuer, rien à changer hélas… puisque, là-bas comme ici, rien n'a changé.

Jusqu'à la prochaine euthanasie…

LA BALLADE DES PERDUS

(ou l'euthanasie punie)

Interminable agonie
Des débris humains en sursis
Oui mais…
LA VIE À TOUT PRIX
LA VIE À N'IMPORTE QUEL PRIX
LA VIE DES VIEUX PRINCIPES RACORNIS.
Qu'ils soient donc prolongés jour et nuit :
Dieu seul rappelle à Lui !

Infamante destinée
Des embryons de femmes violées
Oui mais…
LA VIE À TOUT PRIX
LA VIE À N'IMPORTE QUEL PRIX
LA VIE DES VIEUX PRINCIPES RACORNIS.
Qu'ils deviennent des orphelins en errance :
Dieu sera leur Providence !

Impitoyable survie
Des légumes humains en batterie
Oui mais…
LA VIE À TOUT PRIX
LA VIE À N'IMPORTE QUEL PRIX
LA VIE DES VIEUX PRINCIPES RACORNIS.
Qu'ils soient maintenus sous respirateur :
Dieu seul est leur Sauveur !

Décision libre et claire
Des suicidés volontaires
Oui mais…
LA VIE À TOUT PRIX
LA VIE À N'IMPORTE QUEL PRIX
LA VIE DES VIEUX PRINCIPES RACORNIS.
Que leurs cercueils soient refoulés des églises
Car Dieu verrouille la Terre Promise
Qu'Il façonne à son image
Du fond des âges
Et pour toujours
Car Éternel est son Amour !

Dieu sait en effet ce dont sa créature a besoin,
Il sait que souffrir est un Bien.
Dans son périple de voyageur,
Que cet homme de douleurs
Jusqu'au seuil du Paradis
S'en remette à son seul Avis.

Que le Pontife ou bien l'Imam
Subordonnant le corps à l'âme
Transmette du Divin
Ce seul oracle souverain :

« QUE SOIT DOCILE TOUTE CRÉATURE,
QU'ON LAISSE FAIRE LA NATURE.
QUE LES TENANTS DE L'EUTHANASIE
– LÉGISLATEURS OU CITOYENS –
SOIENT ANATHÈMES ET IMPIES,
TOUS ENNEMIS DU GENRE DIVIN ! »



Extrait de Emois, émois, émois, pages 18-20, L'Harmattan, 2010.