Pendant vingt années (durée de la guerre de Troie et du hasardeux retour d'Ulysse raconté dans l'Odyssée), Pénélope dut s'armer de patience pour repousser par toutes sortes de ruses les avances de ses amoureux qui affirmaient qu'Ulysse était mort et qui la pressaient de choisir un nouvel époux parmi eux.
Pour faire attendre ces nombreux prétendants qui, durant ce temps, la courtisaient et pillaient allègrement sa maison, la belle indifférente leur promit de choisir l'un d'entre eux dès qu'elle aurait achevé de tisser le linceul (et non pas une tapisserie) de son beau-père Laërte.
Afin que la besogne perdure, elle défaisait la nuit ce qu'elle avait tissé le jour. Ce stratagème fut dénoncé par une de ses servantes. Pénélope était sur le point d'épouser l'un de ses prétendants lorsqu'Ulysse déguisé revint enfin. Elle accueillit d'abord cet étranger avec prudence, et ne consentit à le reconnaître vraiment que lorsqu'il eut décrit avec minutie le lit conjugal.
Ulysse tua alors tous les prétendants. Le couple put enfin se reformer et Athéna, dit-on, prolongea exprès pour eux la durée de la nuit tant leur étreinte fut à la fois tendre et passionnée.





Pénélope par William Bouguereau (1825-1905)


Le mois de janvier est souvent la période des bonnes résolutions… qu'on ne tient ordinairement pas. Comme disait Oscar Wilde, « une fatalité poursuit les bonnes résolutions et veut qu'on les prenne toujours trop tard. » Par contre, il n'est pas inutile en cette période de dresser un état des lieux.

Or, depuis quelques jours, le diagnostic concernant mon existence se résume en 3 qualificatifs : solitaire, monotone, insipide. Quel scoop ! Dès lors, ne s'ouvrent que deux voies : soit prendre discrètement la clé des champs, selon le mot charmant de Montaigne, soit changer de paramètres – ce qui constitue à l'évidence pour le moment la meilleure option. Je choisis donc le sursaut joyeux mais sans illusion ni précipitation, un peu la mort dans l'âme : puisque le passé est inhibant, le présent décevant, croire encore un peu en l'avenir pas trop lointain et bousculer le destin.

Et c'est ainsi que je n'ai cessé de penser à ma belle princesse esseulée en rédigeant cette petite annonce que je ne suis même pas certain de poster (« Trop meurtri par les délais et les distances, trop las du rôle de Pénélope, trop seul et désœuvré surtout le week-end, trop désenchanté par l'Amour majuscule etc. »), persuadé d'ailleurs - l'espérant même ! - que ce genre de bouteille à la mer ne pourra ramener sur mon rivage déserté rien d'autre qu'un peu de limon et quelques algues moisies… En quoi je diffère de Pénélope qui cousait jour après jour, vaillamment, obstinément, apparemment sans états d'âme, puis décousait nuit après nuit, décourageant du coup matin après matin plus de cent prétendants ! J'imagine ses yeux rougis, ses doigts meurtris mais aussi son petit sourire en coin lorsqu'épuisée elle finissait à l'aube par s'assoupir sur son ouvrage, le devoir accompli, l'avenir déjoué, l'amour sauf.

Ainsi, puisque seule l'action sauve, faire ce geste absurde (rédiger une annonce) était en soi déjà un sursaut, une réaction positive : transformer un linceul mité en habit de lumière !