43%

Depuis hier, ce chiffre ne cesse de m'obséder. Un pourcentage qui vient d'éclater à la une du Monde. 43% ! Me croirez-vous si je vous dis que c'est ce chiffre qui à l'instant m'a littéralement réveillé, vient de me hanter à nouveau au point de me précipiter sur mon clavier tant il est indécent, violent, insupportable ! 43% ! Ce matin, ce ne sera pas une chronique littéraire, mais un cri de colère. Un vomi (pas de retours à la ligne, please, Monsieur le Correcteur) tant la coupe est pleine, tant le citoyen impuissant se sent malgré tout solidaire et vaguement honteux. Comme devant le chancre intime qu'on s'obstine à taire et qui ne parvient pas à guérir. Avec ce besoin irrépressible de gerber pour se soulager. 43% ! Lorsqu'on met derrière ce chiffre des visages, des histoires, des jours sans fin, des logis lépreux, des familles dévastées, de la haine indurée, un sentiment exacerbé d'injustice, de violence, de vengeance, comment ne pas ressentir soi-même les mêmes sentiments, les mêmes frustrations, la même incompréhension, la même appréhension indignée ? 43% ! Effroi et colère dans un cœur de citoyen et aussi un cœur de père qui a offert quatre fois la vie et a la chance d'avoir de beaux jeunes gens solides, bien portants et apparemment heureux dans leurs jolies maisons et leur boulot correct sinon gratifiant. 43% ! Un chiffre net, sans bavures, aux rebords acérés : 43 pur sang ! Un chiffre aux allures de détonations rageuses, de jets de pierre, déjà de cris de guerre. 43 % ! C'est écrit noir sur blanc, là, sous nos yeux, dans l'Observatoire national des ZUS. 43% ! Et l'on dira ensuite : non, on ne savait pas, on a fait ce qu'on a pu, ce n'était pas une action sociale prioritaire, il y avait la Crise, les banques, l'euro, Borloo, l'environnement, la future élection présidentielle… Pourtant, 43% ! Précision sémantique pour élucidation statistique : les ZUS, ce sont les zones urbaines sensibles. Autrement dit, des zones pourries, délaissées, ensevelies et refoulées dans la mémoire collective. Dit pudiquement : 751 quartiers sensibles dégradés. En France. Fin 2010. Dans la belle République bien de chez nous libre, égale, fraternelle. 43% ! Quartiers dortoirs et pourrissoirs de jeunesse. Espoirs dégradés. Avenir ghettoïsé. Rage décuplée. Micro laboratoire d'un pays sous tension. 43% ! Pâle lueur aux allures d'indécente boutade : à défaut de Plan Marshall – qu'il rejette – le nouveau ministre de la ville “communique” sur le registre de l'optimisme en s'affichant désormais comme “ le ministre des bonnes nouvelles”. 43% ! Lui pourtant, tout sourire et ses statistiques calées sous le bras, il doit se sentir protégé et blindé, bien au chaud sous les ors de la République, à l'abri de cette rafale de kalachnikov meurtrière qui éclate quelques jours avant la Fête des dindes fermières et doit atteindre chaque Français en plein cœur : « DANS LES QUARTIERS SENSIBLES, 43% DES HOMMES JEUNES SONT AU CHÔMAGE ».