Sarkozy, premier flic de France ? À n'en pas douter : à Grenoble ou ailleurs, il nous remet ça, tant le démangent les sermons sécuritaires, les coups de menton et les rodomontades à la Guignol ; tant le minent son impuissance politique, sa volonté de faire diversion et ses appels du pied à qui vous savez. Passons, c'est aussi grossier que consternant pour ne pas dire puant.

En fait, ce qui manque le plus à ce Président, outre la classe, c'est le bon sens (pour commencer au sujet de la diminution des fonctionnaires en général et de la police de proximité en particulier). Puisqu'il a désormais, dit-on, des velléités de se cultiver, je lui conseille respectueusement de relire, durant ses vacances toutes proches, ce qu'écrivait sur bien des sujets (politiques et sociétaux) un philosophe du début du siècle dernier, le cher Alain, Sage perspicace et qui en toutes occasions gardait l'œil acéré, le cœur généreux et les pieds sur terre (c'est ce qui me fascine et me nourrit dans sa philosophie).

C'était dans la Dépêche de Rouen du 16 janvier 1909 et cette page étonnante de lucidité et de sang-froid (à l'époque, on guillotinait sans états d'âme) peut nous donner un avant-goût… des grandes et indispensables processions de début septembre et des possibles stratégies pour les endiguer - policières ou politiques -, initiatives qu'on souhaite un siècle plus tard enfin intelligentes et efficaces !

Encore un mot, tant est plaisant l'avant-propos de l'auteur (écrit pour la 4ème série des Cent un propos), tant les conseils avisés d'Alain semblent s'adresser très précisément à Notre Nerveux Souverain: « Quand le petit pâtre danse au lever de la lune, la lune danse avec lui ; c'est ainsi que l'apparence des choses s'accorde avec nos mouvements, et notre humeur de même. Si tu suis cette prose, tu garderas le repos ; ainsi, l'image des choses ne dansera point. C'est la première victoire. Mais il arrive aussi que tes propres opinions, et d'abord celles que tu exprimes, t'émeuvent trop, par le son de ta voix. En sorte que ce que tu dis, surtout si tu parles fort, tu n'es pas loin de le croire. C'est être orateur peut-être que de chercher la preuve de ce que l'on pense dans ce que l'on dit, et grand orateur si la chose ainsi prouvée est vraie par aventure. Mais c'est encore danser pour faire danser la lune. Lis donc tout bas, c'est la seconde victoire. Mais dès que le temps se déroule, l'espérance et la crainte courent du même pas. Quoi, toujours courir ?! Or, j'ai pris soin que mes pensées n'aient ni commencement, ni milieu, ni fin, et le moins de suite qu'il se peut. Elles seraient de marbre ou de bronze si je pouvais, comme ces statues dont on fait le tour, que l'on laisse et que l'on retrouve. Lis donc sans parler, et des yeux si tu peux. Ce sera ta troisième victoire. » (27 mai 1914).

Oui, entre deux joggings, que le Président se retire dans le Temple d'Alain (où l'airain de la Sagesse remplace le marbre des vanités) ; qu'il y médite, entre autres sujets, sur les problèmes de l'insécurité nationale et des remèdes pragmatiques pouvant être mis en œuvre, hic et nunc, sur le terrain, avec clairvoyance et mesure, davantage que par des nominations musclées et des logorrhées pré-électorales.

« J'ai connu un policier admirable, raconte Alain, qui avait pour règle de ne jamais emprisonner personne. Il disait que la bonne police consiste à empêcher les crimes, et non pas à découvrir et à punir les coupables. Il faut savoir que sa tâche de policier était parfaitement définie. Il était, il y a bien quinze ans, le chef de la brigade qui gardait le Président. Je le connus parce que, dans ce temps-là, je m'amusais quelquefois à reconnaître les policiers dans la foule, en appliquant cette règle : quand un cortège passe, il n'y a que les policiers qui regardent la foule. Comme je regardais la foule, moi aussi, l'œil du grand policier se posa sur moi ; cela me fit rire, et nous eûmes occasion de parler du métier qu'il faisait.

« J'ai là autour, dit-il, des gaillards qui connaissent les finesses du métier. Nous n'allons point dans les garnis ; nous ne suivons pas les gens ; nous ne faisons point de questions. Nous sommes autour du cortège, comme un filet invisible. Si quelque individu nous paraît suspect, nous avons pour tactique de l'écarter sans qu'il s'en doute, par un mouvement de foule, une bousculade, une discussion, une chute. Supposons qu'il ait quelque mauvais dessein ; il s'en va en maudissant ces stupides bourgeois qui se serrent comme des moutons. Il accuse le hasard d'abord ; après plusieurs tentatives, il croira à quelque destinée contraire ; car les hommes d'action sont fatalistes. Bref, j'ai opposé une force à une force ; la méthode est bonne pour le présent, je me demande si elle n'est pas la meilleure aussi par les fruits qu'elle porte ; car peu d'hommes sont capables de suivre un projet quand les circonstances leur sont contraires. »

Plus j'y réfléchis, plus cette vue me paraît pénétrante. Un sermon ne vaut pas un obstacle. Un sermon irrite ; un obstacle, surtout si l'on n'y voit pas une volonté particulière, n'irrite point, et change le cours des pensées. Voici un cambrioleur qui est encore à moitié ouvrier. Il vole, il frappe, il est pris ; il nourrit des pensées de guerre, il recommence ; nous en viendrons à le tuer pour avoir la paix, et cela ne rendra pas la vie à ses victime.

Supposons que le même homme, pendant qu'il observe les lieux, trouve à toute heure à quelque tournant de rue deux agents qui font tranquillement leur ronde, assurément il s'en ira voir ailleurs. S'il trouve encore deux agents, il en viendra à se dire : « Le métier n'est pas bon, ou alors, je ne sais pas bien m'y prendre. » Il reviendra au travail, car il faut manger ; et il reviendra à la probité, car ce sont nos actes qui nous façonnent et nos maximes résultent de nos habitudes.

Voilà pourquoi une police préventive vaut mieux à tous les points de vue qu'une police répressive. Du reste, je ne crois pas qu'elle coûterait beaucoup plus cher que l'autre. Combien aurait-on de patrouilles pour le prix que coûte une exécution capitale ? Mais nous ne nous passionnons que pour les drames bien noirs. Comme je le disais, c'est le bon sens qui nous manque. »


Alain, Propos d'un normand, 1906-1914, Gallimard, 1956.