En ces temps de déréliction citoyenne, est-il ici permis d'oser une fantaisie estivale pour relâcher le stress et détendre l'atmosphère à défaut de l'assainir ? Ni langue de bois ni triomphants flonflons, seule l'humble et facétieuse musiquette s'exhalant de viscères trop noués et qui rappelleront à chacun, à chacune, quel que soit son rang, quelle que soit sa fortune, dans le mal-être comme dans le paraître, que nous sommes des bipèdes, des mammifères, de souffle en souffle jusqu'à l'ultime et que la honte en la matière n'est pas de saison. En voici la démonstration : fantaisie rectale (en 2 épisodes) pour spleen hexagonal.

Le pet (osons appeler par son nom ce vent sournois !) est plus tabou que le sexe. Peut-être plus tabou que la divinité (sauf le dieu Pan, s'entend). Tu peux t'autoproclamer érotomane, jamais pétomane. Tu peux aspirer à devenir l'émule de Pierre Louÿs, d'Anaïs Nin voire du Divin Marquis, pas de Joseph Pujol, star du Moulin-Rouge, qui annonçait à la ronde avec force détonations « le seul artiste vivant du music-hall qui ne paie pas de droits d'auteur ». Oui, en deux mots comme en cent, péter est inconvenant.

Cela ne sied pas. Surtout en public, surtout lorsqu'on n'a pas de filtre. Ni à Paris ni à Nantes ni à Marseille. Pas plus devant Beaubourg qu'au fond des faubourgs. On nique, mais on ne pète pas. On fornique, on ne forpète pas. Et si, foireux mélomane, tu es surpris en flagrant délit d'éloquence rectale, où que ce soit, à table, à la gare, à la caisse de l'hyper, à l'église ou devant le ministère de la Culture, ou encore au lit - surtout au lit ! - c'est le déshonneur, l'infamie sur ton front, plus bas la confusion. Tu es socialement condamné et, même avec un bon avocat expert en us et coutumes, tu en prends pour perpète.

Il existe pourtant des civilisations sophistiquées où l'on éructe pour signifier qu'on a fort bien mangé, où l'homme épouse un autre homme pour dire qu'il est très amoureux et, last but not least, où l'on pète avec éclat pour proclamer qu'on est à l'aise. Mais chez nous, en France, on a le pet morose et la vesse traîtresse. J'emploie sciemment le mot « vesse ", pour ne pas te choquer, internaute, mon frère, ni toi non plus ma sœur. Pas question d'enfiler des verroteries joignant à l'indigne chose des syllabes honteuses, dans le genre louffes, vannes, pastilles et autres perlouses.

Désormais - je l'ai lu dans le Figaro Madame —, même les mal voyants et les techniciennes de surface usent de métaphores et parlent très sérieusement de « phénomène de résonance sphinctérienne ». En fait, j'ignore pourquoi le Figaro Madame s'est penché sur ce dossier explosif. Les dames, c'est bien connu, surtout celles du 16ème arrondissement n'ont pas de derrières. Des pare-chocs tant qu'on veut, des airs bag, mais pas de pots d'échappement. Les statistiques viennent d'ailleurs appuyer cette pudeur anale puisque, c'est démontré, les femmes pètent cinq fois moins que les hommes. Moyenne féminine : 3,28 pets par jour. Moyenne masculine : 16,63. Il reste que les mâles sont nettement plus performants que les dames et qu'on leur doit les deux records enregistrés : 30 pets sonores à l'heure et 96 à la journée (Livre des Records 2008, au chapitre Cris et chuchotements).

Une étude récente permet néanmoins de nuancer mon pessimisme par rapport à l'interdit et ses conclusions sont encourageantes : 50 % des péteurs avouent ne se retenir dans aucune circonstance ni situation sociale. Il apparaît que ces décomplexés émetteurs de vents naturels obéissent à certains facteurs et ont leurs préférences : avec des amis du même sexe, quand ils sont seuls, lorsqu'ils déambulent au bord de l'océan ou juste avant de quitter une pièce tandis que 0,5 % des péteurs sondés trouvent irrésistible de s'exprimer durant les enterrements.

À ce sujet, la Chambre des Comptes, sous la direction du regretté Philippe Seguin, a épinglé récemment dans son rapport annuel un certain nombre de tricheurs abusant d'astuces illicites au regard du Droit français, et d'ailleurs dans un but tout à fait mesquin : « éloigner les soupçons » (Rapport de la Cour des Comptes 2009, pages 2405-2410). Exemples de ces détournements : couvrir le chuintement du pet en toussant, masquer la détonation en se raclant bruyamment la gorge ou en simulant un éternuement ou bien, plus grave encore, accuser une tierce personne, le chat, le chien, son percepteur voire un enfant mineur.

En fait, la Flatuologie est une discipline encore récente, d'où une très lente évolution des mœurs à ce sujet. Jusqu'au milieu des années 90, les études historiques piétinaient. Peu de chercheurs motivés et surtout peu de cobayes : accepter des capteurs dans le rectum ou passer à la « centrifugeuse » pour accélérer l'émission des gaz intestinaux paraissait une grave atteinte à la pudeur et à la dignité humaine. Autrement traumatisant que les scanners aux aéroports ! Mais la science peut-elle se permettre d'être pudibonde et d'être réduite au silence ? Aujourd'hui, surtout grâce aux recherches américaines (menées avec diligence en Irak à Abou Ghraib), on sait qu'un pet s'échappe à une vitesse comprise entre 0,1 et 1,1 mètre/seconde, soit 0,36 à 3,96 kilomètres/heure.





Une particularité notable : outre les 4 gaz principaux, on a pu observer dans 30 à 35 % de la population la présence d'un 5ème gaz, le méthane, qui avec l'hydrogène rend les détonations inflammables (blue angels), parfois meurtrières dans les rangs de la Coalition : 12 % des Américains (et 24 % des GI's présents en Afghanistan aujourd'hui) avouent avoir cédé à l'impulsion de mettre le feu à leurs gaz d'échappement alors que 3 % confessent s'être brûlé les fesses, tandis que seulement 7% des péteurs (civils) hexagonaux reconnaissent s'amuser à se lâcher dans l'eau du bain et qu'1/3 de ceux-ci ont déjà tenté de récupérer les bulles avec un verre à dents placé à l'envers au-dessus de la baignoire pour les enflammer. Des études encourageantes donc concernant la désinhibition de la population et une approche facétieuse voire poétique du phénomène. Néanmoins, notre société reste très peu permissive, l'Église catholique encore moins puisqu'on annonce que Benoit XVI va stigmatiser à l'automne prochain ces errements dans sa prochaine Encyclique fort attendue « In Amplissimo Silentio ».

En ce qui me concerne, j'avoue avoir évolué, être aujourd'hui désinhibé, soliste heureux, parfois concertiste. Je dois en effet beaucoup à l'un de mes amants et il convient de lui rendre ici un hommage détonant. Il s'appelait Gaspard... Il s'appelle toujours, mais nous nous sommes perdus d'odeur. Chez lui aucun complexe, nulle pudeur. Il avait le pet claironnant, tonitruant, surtout la nuit. À toute heure de la nuit. Il m'éveillait parfois et lorsque, mi-amusé mi-contrarié, je lui faisais quelque menu reproche, il partait d'un grand rire, ouvrait sa tabatière, canonnait de plus belle. Et nous riions ensemble, à en perdre le souffle ! Ses vesses roulaient sous le drap, s'échappaient en bulles, tornade de flatus multicolores, un grand Magic Circus qui irradiait mes rêves.

Je me souviens en particulier d'une nuit en Picardie - c'était l'été, au château du Broutel, fameux gîte du silence dans le Marquenterre où nous avions fait étape. Cette nuit-là, vers trois heures, Gaspard claironna si dru qu'il détraqua l'éclairage du cabinet de toilette où il s'était isolé. Damned, le Son et Lumière m'éveille soudain : c'est dantesque, époustouflant, plus infernal que la Soufrière et la montagne Pelée réunies. Tandis que l'éruption fait rage, le néon vacille, s'éteint, se rallume, clignote à nouveau, ombre bleutée, éclairs zigzagants, puis de nouveau la nuit opaque... un silence oppressant jusqu'au moment terrible où les ultimes fusées, mettant le feu aux poudres, secouèrent tout l'hôtel d'un fracassant bouquet.

Quelle déferlante ! Aux abris ! Accompagnant une D.C.A. rageuse (néon à nouveau sporadique) un chapelet de bombes, dru, serré, impitoyable. Puis, après quelques détonations isolées, le silence à nouveau. Indemne, j'émerge du drap et, convulsé de rire, j'avise mon Vulcain digne et impavide après l'armistice. « Tu ne dors pas ? » me lance-t-il surpris en poussant la porte du cabinet. Ensuite... comment ne pas m'en souvenir ! dans le silence enfin restitué, pour fêter ma survie « nous nous connûmes » comme dit la Bible.

Assommé comme un taurillon, Gaspard sombra illico tandis que déjà je m'étais replongé dans l'œuvre de Marcel Prout. L'heure était désormais à la mélancolie puisque Chronos, après l'éclat d'Éros, n'avait pas été fracturé ni son vol suspendu tandis que, mon jeune amant ronflant, je le contemplais un brin attendri puis, sitôt le livre refermé, après m'être récité mentalement deux pages empléiadées, alors que la naïve phrase de mon artilleur en pénétrant dans la chambre et dans les ondes du demi-sommeil où j'étais alors plongé, n'était parvenue jusqu'à ma conscience qu'en subissant cette déviation qui fait qu'au fond de l'eau un rayon paraît un soleil, de même qu'un moment auparavant le bruit de l'intermittence du néon, prenant au fond des abîmes une sonorité de tocsin, avait enfanté l'épisode de la déflagration sphinctérienne puis scandé mon ébranlement cérébral, caressant alors d'un index négligeant la fesse bombée tout contre mon flanc droit, je recherchais dans sa moiteur galbée la sensation exacte avant de me dire que ce garçon trop expansif, décidément, n'était pas mon genre.

Il n'empêche, qu'on aime ou non Marcel, c'est à Gaspard, mon éloquent amant, que je dois une fière chandelle, que je m'assume enfin, comme le grand Descartes qui déclara, lors de son intronisation à l'Académie : « Je pète donc je suis. » Pas plus compliqué que ça, pas plus humiliant ! Le corps s'exprime, jubile, badine. Laissons-le donc chanter à sa guise en ouvrant toute grande l'outre d'Éole. Je m'en tiens donc désormais à la formule, j'opte pour cette philosophie, en toute occasion, surtout pendant la Crise (mais pas dans l'isoloir), par temps sec et même par les soirées humides de mars quand le ciel est bas et le vent foireux : sans mépris pour ce pet de maçon, avec légèreté, en haussant les épaules, comme on sèche une larme, je pète et j'essuie : ERGO SUM !




(Demain suite et fin de cet ouragan aoûtien)