Pour celles et ceux qui ne bronzent pas idiot, je propose un petit cours de rattrapage sur les philosophes majeurs de la tradition occidentale. Bien incapable moi-même de mitonner ce genre de synthèse, j'ai fait appel à Jan Marejko et à son livre intitulé « Philosophe, moi aussi… » (Que sais-je ? 1996). Ici ou là, au gré de mon adhésion personnelle à tel ou tel de mes favoris (Alain, Epictète, Epicure, Marc-Aurèle, Montaigne, Nietzsche…) j'ai glissé quelques ajouts personnels.

Relisant ces jours le petit ouvrage de Marejko, je me suis dit que ces 33 brèves notices ainsi augmentées pourraient intéresser certains internautes. Bien sûr, le but n'est pas en quelques lignes d'offrir un condensé encyclopédique sur chaque Sage, mais de provoquer une curiosité, d'ouvrir une béance, une sorte d'émotion intellectuelle, l'envie – dans ce monde de baufs et de dingues qui nous cernent – de mettre un peu de sens dans sa propre existence, de cohérence, ici de la rigueur, là de la saveur, et pourquoi pas de la contradiction ! non pas en pensant en l'air mais en dialoguant avec nos grands aînés.

J'ajoute que rien ne me semble plus essentiel, parfois plus jouissif, si bien sûr on est d'accord avec la formule de Comte-Sponville (que personnellement j'aimerais ajouter à la liste des 33) : « Philosopher, c'est penser sa vie et vivre sa pensée. » Il fait aussi sienne l'indépassable formulation d'Epicure : « La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse. » Car c'est aujourd'hui qu'il faut vivre et tâcher d'être heureux. C'est aujourd'hui qu'il faut penser. Et ne compte, chez Epicure ou Pascal, chez Marx ou Spinoza, chez Rousseau ou Sartre, que ce qui peut – aujourd'hui – nous aider à penser… et à en tirer du bonheur !


ALAIN (Emile Chartier dit)
1868-1951



Sa passion était de maîtriser toute passion par l'exercice de la raison selon les principes énoncés par Descartes. Par là, Alain est resté comme étranger aux grands mouvements idéologiques du XXe siècle et n'a guère manifesté de goût pour le marxisme et le freudisme. C'est une de ses limites mais aussi une de ses vertus.

Le lire, c'est se plonger dans un auteur qui, en plein cœur des folies du XXe siècle, a su rester raisonnable, lucide, un humaniste engagé (anti guerre de la première heure) puisque, par ses nombreux articles dans des journaux, il nous donne le meilleur exemple de ce que peut être le journalisme philosophique.

On sait qu'Alain collaborait régulièrement avec la Dépêche de Rouen, journal radical de Normandie, auquel il donnait un billet quotidien. La série entière en compte 3098, du 16 février 1906 au 1er septembre 1914. Les passions politiques et la misère des opinions partisanes (affaire Dreyfus, séparation de l'Eglise et de l'Etat, etc.) conduisent Alain à réfléchir, à prendre du recul (tout en s'engageant), à démêler le vrai du faux. Quelle leçon pour aujourd'hui et comme Alain nous manque ! Quant à son anthologie de billets (Propos sur le bonheur), c'est le petit livre à poser sur sa table de chevet ou dan sa besace afin de s'y référer au quotidien : on y découvre que l'existence est bonne, que les grincheux ont tort et que l'art d'être heureux est à la portée de chacun d'entre nous. Tolle et lege.

Le thème favori d'Alain était en fait celui du réveil de la conscience, réveil qui exige recueillement, méditation, examen lucide de soi et du monde. Là aussi son modèle a été Descartes dont la vie et les œuvres offrent l'exemple le plus célèbre d'un tel examen.


(Suite prochaine avec ARISTOTE)