Le 5 ou 6 avril 19OO, Pierre Loti fait étape dans l'actuelle capitale du sultanat d'Oman.

« Ainsi qu'à Damas, à Maroc ou à Méquinez, ainsi que dans toutes les pures cités de Mahomet, dès l'entrée à Mascate, nous sentîmes s'abattre sur nos épaules le manteau de plomb de l'Islam.

La ville, de loin si blanche, était un labyrinthe de petites rues couvertes, où régnait une demi-nuit, sous des toitures basses. Là-dedans, un charme et une angoisse venaient ensemble vous étreindre ; on subissait à l'excès ce trouble sans nom qui, dans tout l'Orient, émane du silence, des visages voilés et des maisons closes.

Il y avait pourtant des ruelles vivantes, - mais de cette vie uniquement et farouchement orientale qui est pour nous si lointaine. Il y avait, comme dans tous les autres ports du Levant, des séries de petites échoppes où mille objets de parure se vendaient dans l'ombre, toujours dans l'ombre : étoffes à grands ramages barbares, harnais brodés, pesants colliers de métal, et poignards courbes à gaine précieuse en filigrane d'argent. Mais ces échoppes étaient encore plus obscures qu'autre part, et cette ombre d'ici, plus épaisse, plus jalouse qu'ailleurs. Partout, une chaleur de forge, l'impression constante d'être trop près d'un brasier, et parfois, sur la tête, une sensation de brûlure soudaine, quand un rayon du soleil tombait à travers les planches des plafonds. On rencontrait des hommes maigres, nomades du Grand Désert, à l'attitude sauvage et magnifique, détournant leur fin profil cruel, se reculant par dédain pour ne pas vous frôler. Et les femmes, aux chevilles alourdies par des cercles d'argent, étaient, il va sans dire, d'indéchiffrables fantômes qui se plaquaient craintivement aux murailles quand on passait, ou bien s'engouffraient dans les portes ; elles portaient des petits masques noirs, des espèces de petits loups brodés d'or et de perles, avec des trous carrés pour les yeux, - chacune d'elles semblant personnifier un peu de ce mystère d'Islam qui pesait sur toutes choses.

Et cette ville sacrée de l'Iman, - au pied des abruptes montagnes qui avaient l'air de la murer dans sa baie, de l'isoler au bord de sa mer bleue -, communiquait cependant par des défilés, par des couloirs de sable entre les roches brûlantes, avec la grande Arabie impénétrable, avec les oasis inconnues et les immensités désertes ; elle commandait les régions obstinément fermées, elle était la clef des solitudes. »

In La Revue des Deux Mondes du 15 mars 1902

(A SUIVRE)


Pierre Loti officier de marine et écrivain.



Notre ballade au Mussandam (partie Nord du sultanat d'Oman)