C'était donc dimanche dernier à Paris. Près de 300 adhérents se pressaient à l'assemblée générale de l'ADMD (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité).

J'ai d'abord été surpris par l'âge des participants – surtout participantes ! (mais il est normal que ce soit cette tranche d'âge qui se sente menacée et veuille militer pour revendiquer une ultime liberté face à la déchéance et au trépas). Par contre, Jean-Luc Romero, notre Président, est débordant de cordialité et d'énergie ainsi que le jeune homme qui a enflammé notre assemblée : les questions de fin de vie, a-t-il rappelé, concernent tout le monde, jeunes et moins jeunes, car la Faucheuse guette chacune et chacun au bord du chemin et le cas douloureux du jeune Vincent Humbert a rappelé tout récemment les absurdités et les souffrances qu'engendre en France le vide juridique concernant la fin de vie et l'aide active à mourir… lorsque la vie humaine n'est plus digne de ce nom pour celui qui en pâtit et n'a plus la force de « prendre la clé des champs » comme le recommandait Montaigne.

Heureusement, les choses bougent et ce scoop de fin d'après-midi est prometteur : les 3 Sénateurs présents (UMP, PS et PC), nous ont annoncé qu'à l'automne prochain le Sénat, droite et gauche confondus, proposera un texte de loi pour une légalisation en France de l'aide active à mourir. Une bombe en perspective !

Nos détracteurs, tenants de la vieille morale et de l'hypocrisie institutionnalisée, peuvent bien agiter les épouvantails voire faire des jeux de mots aussi atroces qu'indignes sur l'euthanazie que nous serions censés vouloir établir ! Ils oublient quelques vérités bonnes à rappeler ici.

D'abord, toutes les douleurs ne peuvent pas être soulagées. Il existe des douleurs physiques qui résistent aux antidouleurs. Il existe aussi des douleurs morales chez certaines personnes en grande dépendance qui n'acceptent pas d'être infantilisées et dont on doit s'occuper pour tous les actes de la vie courante, y compris pour les soins d'hygiène élémentaire.Or, face à cette situation, les soins palliatifs ne peuvent pas être la seule réponse. Sait-on que, malgré les beaux discours officiels, ces soins manquent cruellement en France ? Près de 80% des demandes d'admission en unités de soins palliatifs reçoivent une réponse négative. Toujours promis, les moyens n'arrivent jamais. Et une majorité de nos concitoyens meurent dans des établissements inadaptés, dans une grande détresse.

Le Président d'honneur de l'ADMD nous a donné un témoignage personnel très fort : hospitalisé récemment à Paris suite à un accident de moto, lui, pourtant médecin, s'est dit effaré par l'incohérence des soins, singulièrement en ce qui concernait la gestion de ses intolérables souffrances. Heureusement, nous a-t-il confié, j'avais pris la précaution d'emporter avec moi quelques pilules de morphine. Le citoyen lambda ne peut pas avoir recours à sa pharmacopée personnelle. Dès lors, que faire puisqu'il semble que tomber sur le bon hôpital relève de la loterie ? N'oublions pas également, quelle que soit la qualité des équipes accompagnantes – et elle est indéniable quoique inégale – que beaucoup de patients en fin de vie préfèrent passer chez eux les jours qui leur restent à vivre, entourés de leur famille et de leurs objets familiers. D'autant plus qu'en ce qui concerne les personnes très âgées (sur)vivant en maisons de retraite, le système des soins hospitaliers n'est pas du tout adapté avec des va-et-vient souvent aggravants (Le Gérontopôle de Toulouse publie ces jours une étude pointant ces « hospitalisations délétères » cf. Le Monde du 03/06/2010).



Au-delà des défaillances institutionnelles et de l'acharnement thérapeutique, se pose en fait la question des conditions de fin de vie. L'étude MAHO (pour « Mort à l'hôpital ») a montré que 80% des malades qui mouraient avaient des symptômes d'étouffement et ne bénéficiaient pas d'analgésie ou de sédation. Les trois quarts des malades meurent seuls, sans leur famille, accompagnés d'un soignant, alors que le décès était prévisible. Cette étude a également relevé que seulement 12% des services disposaient de procédures spécifiques d'aide au processus décisionnel de fin de vie alors que plusieurs travaux ont montré que leur mise en place pouvait améliorer la qualité de décès des patients par la prise en charge des symptômes des derniers jours de vie, la mise en évidence de refus de soins et surtout la démarche de collégialité et de traçabilité qu'elles proposent. Un autre message important de l'étude a été de montrer que seulement le tiers des infirmières étaient satisfaites des conditions actuelles de décès de leurs patients.

À quoi engage l'euthanasie (« bonne mort » en grec), plus précisément et pratiquement l'aide active à mourir ? Elle ne sera évidemment jamais une obligation. La loi permettra seulement à chacun de choisir comment et où il souhaite mourir. Pas plus qu'aux Pays-Bas, en Belgique ou au Luxembourg – pays qui ont légalisé l'euthanasie – cette possibilité ne constituera une obligation. Evidemment, ceux qui voudront vivre le plus longtemps possible (le plus douloureusement) verront leurs volontés respectées. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Par nature, la mort n'est à l'évidence pas un droit, mais une obligation pour tout le monde. Nul n'y échappe. Mais face à cette échéance, il y a deux façons de mourir, l'une qui risque d'être imposée aux patients (agonie à petit feu), l'autre que pourraient choisir celles et ceux qui le désirent en toute lucidité et en ont fait la demande expresse au préalable. C'est cette possibilité de choix que les Français réclament à plus de 86% !

Depuis 30 ans, l'ADMD milite pour qu'une loi d'Ultime Liberté permette à chacun, en conscience et pour lui seul, de choisir les conditions de sa fin de vie :

- Accès universel aux soins palliatifs, pour 100% des Françaises et des Français ;
- Soulagement de la souffrance dans le respect de celui qui veut aller jusqu'au bout de sa maladie ;
- Aide active à mourir pour celles et ceux qui n'en peuvent plus de leur calvaire déshumanisant.

Aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, dans plusieurs Etats d'Amérique du Nord, une telle loi existe déjà. Les observatoires de fins de vie et la Justice veillent à la bonne application de ces lois et à l'absence de dérive. Pourquoi ce qui est possible dans ces démocraties serait impossible en France ?

En novembre 2009, 203 députés sur les 577 de l'Assemblé nationale ont voté une telle loi. Hélas, une minorité. Agissons en 2010 pour qu'une loi d'Ultime Liberté mette fin à l'hypocrisie des euthanasies clandestines, permette d'éviter les souffrances inutiles et les tragédies absurdes. Défendons notre liberté, le droit pour chacun de disposer de son propre corps comme les femmes ont su le faire avec la loi sur l'IGV. Mort et naissance, même combat. Ma vie, ma mort, mon propre choix.



Et pour la fin – et la bonne bouche - j'ai gardé la phrase lumineuse du cher Montaigne dans ses Essais : « SI NOUS AVONS BESOIN D'UNE FEMME SAGE À NOUS METTRE AU MONDE, NOUS AVONS BIEN BESOIN D'UN HOMME ENCORE PLUS SAGE À NOUS EN SORTIR. »