JULIUS - Est-ce que je peux te poser une question, Raph ? C'est peut-être indiscret… mais tu n'es pas obligé de répondre.
RAPHAEL - Posez-la. J'ai rien à cacher.
Un temps de silence. Julius s'est éclairci la gorge. De quelle manière regarder le gosse pour ne pas darder un regard inquisiteur ?
JULIUS - Raph, oui ou non, est-ce que tu es homosexuel ?
Deux lèvres s'arrondissent. Deux yeux qui font du morse. Une stupeur écarlate.
RAPHAEL - Non… euh, oui… enfin, je sais pas.
JULIUS - Tu ne sais pas si tu es homo ? Tu vas avoir vingt ans et tu ne sais pas…
RAPHAEL - Si, si… je sais. Mais je suis pas sûr. Je crois bien, en fait, que je suis bi. Si on y regarde de plus près, la bisexualité c'est la sexualité la plus normale… enfin, je veux dire, la plus souhaitable, non ? Pas de différence. Il n'y a pas les hommes d'un côté, les femmes de l'autre. Mais l'humanité. Point. Qu'en pensez-vous ?
JULIUS - Je ne pense rien. Continue… si tu en as envie.
RAPHAEL - Je sais pas quoi rajouter. C'est vrai, il y a Emmanuelle, cette étrange attirance que j'ai pour elle, cette fascination… Il y a aussi d'autres meufs. Amandine, par exemple, ou sa cousine. J'éprouve des choses, c'est certain. Il me prend un élan certain, ou un certain élan, une sympathie pour quelques filles. Disons, que je suis actuellement dans une zone de flottement à tous points de vue. Je ne dois pas être pédé à 100%...
JULIUS - À combien, à ton avis ? Passons, peu importe le pourcentage ! Là n'est pas la question. Ma question était : es-tu homosexuel, oui ou non ?
RAPHAEL - Disons que je suis pédé, c'est sûr, à peu près sûr. Bi, peut-être… Voilà, vous êtes content ! (un rien agacé)




JULIUS - Je n'ai pas à être content, Raph. Simplement, il vaut mieux savoir où l'on met les pieds. Enfin, quand je dis les pieds ! […] Connais-tu Foucault ? Le philosophe ? « Les mots et les choses » ? « L'histoire de la sexualité » ? Non ? (éloquent silence de Raphaël) Ça ne fait rien. Il a dit une phrase, une phrase magnifique et définitive, à graver dans ta mémoire de Monsieur « Bi-peut-être-bien-que-oui ». Voyons, je plaisante, Raph ! Tu es prêt ? Accroche-toi. « Nous avons à nous acharner à devenir homosexuels, et non pas à découvrir que nous le sommes. » Acharne-toi, Raphaël, acharne-toi ! Tu as la chance de vivre à notre époque, une grande époque où se lève le vent de notre liberté. Tu ne seras pas obligé d'attendre aussi longtemps que moi, de bifurquer, de te torturer…

[Extrait de AMOUR(S), Trilogie théâtrale, L'Harmattan, mars 2010]