Phèdre voue une passion incestueuse pour son beau-fils. Elle a fini par lui avouer sa flamme. Mais Thésée, son mari, rentre de guerre alors que tout le monde le croyait mort. Que faire ? Phèdre semble résolue à se supprimer. Oenone, sa conseillère, lui suggère de donner une toute autre version : c'est le jeune Hyppolite qui est fou d'elle ! Oenone propose donc à sa maitresse d'aller elle-même raconter cette fable à Thésée : à n'en pas douter, Hyppolite ne pourra qu'être châtié et Phèdre innocentée.


ŒNONE

De quel œil voyez-vous ce prince audacieux ?

PHÈDRE

Je le vois comme un monstre effroyable à mes yeux.

ŒNONE

Pourquoi donc lui céder une victoire entière ?
Vous le craignez: osez l'accuser la première
Du crime dont il peut vous charger aujourd'hui.
Qui vous démentira ? Tout parle contre lui:
Son épée en vos mains heureusement laissée
Votre trouble présent, votre douleur passée,
Son père par vos cris dès longtemps prévenu,
Et déjà son exil par vous-même obtenu.

PHÈDRE

Moi, que j'ose opprimer et noircir l'innocence !

ŒNONE

Mon zèle n'a besoin que de votre silence,
Tremblante comme vous, j'en sens quelques remords.
Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.
Mais, puisque je vous perds sans ce triste remède,
Votre vie est pour moi d'un prix à qui tout cède:
Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis,
Bornera sa vengeance à l'exil de son fils:
Un père, en punissant, madame, est toujours père,
Un supplice léger suffit à sa colère.
Mais, le sang innocent dût-il être versé,
Que ne demande point votre honneur menacé ?
C'est un trésor trop cher pour oser le commettre.
Quelque loi qu'il vous dicte, il faut vous y soumettre,
Madame; et pour sauver votre honneur combattu,
Il faut immoler tout, et même la vertu.
On vient; je vois Thésée.

PHÈDRE

Ah! je vois Hippolyte;
Dans ses yeux insolents, je vois ma perte écrite.
Fais ce que tu voudras, je m'abandonne à toi.
Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi.


Jean Racine, Phèdre, acte III, scène 3 (extrait).