Il n'y a pas de lumière. Tout est dans le noir. Tout se fait dans le noir. Ça se frôle. Ils ne savent pas ce qu'ils frôlent, ne peuvent pas le savoir, juste penser. Des ventres, des culs, des slips sur les culs. Ils se devinent. Se palpent. Ils se cherchent dans le noir. Ils sont habillés. Des jeans baissés aux cuisses. Des tee-shirts, relevés par-dessus la tête, derrière le cou. Ça laisse le torse libre, ça fait se tenir droit. Ils ont juste les manches aux épaules, ils se touchent. Ne savent pas qui ils touchent, sinon eux-mêmes en miroir. Ils sont huit, dix, peut-être quinze dans les couloirs. Qui sentent les vies d'hommes et le travail, la sueur et le cul. Le désir. Ils sont penchés, courbés. Ou ils sont droits. Ils avancent lentement. Avec précaution. Ils sortent leurs queues des slips. Les branlent dans le slip. Branlent celle d'un autre quand ils l'agrippent. Quand ils la trouvent, s'ils la trouvent, après avoir trouvé un torse ils descendent jusqu'au sexe. Tâtonnent. Ils tâtent dans le vide ou sur les peaux. Ils avancent une main devant, et l'autre qui les branle. Sans bruit. Juste des gémissements. Des râles. Ils se croisent et se retiennent les uns aux autres, quand ils se trouvent ils s'agglutinent, à une hanche, un cul, et s'additionnent. Le fouillent. Le caressent. Approchent la queue si le cul est libre, ils se branlent sur le cul, le tâtent, l'enfournent peu à peu, puis d'un coup le possèdent. Ils embrassent des nuques. Se fond caresser. Les mordent pour se retenir. Ils lèchent. Ils lèchent des mains. Des bites. S'agenouillent. Ils tiennent des hanches et les enfoncent de l'intérieur, par la queue. Ils s'embrassent, aussi. Se couvrent à l'aveugle. Se perdent. Ils se sucent. La queue, le sein, le cou. S'enculent dans le noir. Ils sont quatre sur un seul sans avoir combien ils sont, huit mains qui caressent et le rendent fou ou plus, des mains, des queues qui frôlent des cuisses, les fesses, juste des gémissements, des râles. Des souffles rapides. Pas de mot, aucune phrase, ils ne disent rien. Se cherchent. Ils s'espèrent. Tout le temps ils s'espèrent. Se collent les uns aux autres. Se frôlent. Mélangent leurs langues et se branlent en se fouillant la bouche et d'autres malaxent leurs culs, leurs dos, en même temps, ils ne savent pas qui les touche. Personne ne voit personne, c'est dans le noir. Dans une cave. Juste toucher un sein, un ventre, et certains gémissent. La chaleur de l'autre. Des autres. Qui ne font qu'un dans le noir. La chaleur du nombre. Un seul énorme, et divisé entre eux, par eux, partout décomposé, partout reconstitué, autre. Un totem. Raide en ses ramifications. Et offert. Une idole. Un corps gigantesque qui se touche lui-même, se vérifie. Mouvant dans la moiteur des souffles. Des mains sur des têtes, dans des cheveux caressés, dans des cous. Surtout des mains. Partout. Nées du noir. Qui agenouillent ou flattent. Des baisers. Des visages dans des cous, enfouis, blottis, et des bouches sur des sexes. Perforées par des sexes dans les bouches, dans les culs. Des enlacements. Un seul entre deux autres, au moins deux autres, c'est dans le noir, dans le mouvement des autres, il est dans le mouvement des autres, dans le roulis. Des bites, des mains, des torses, des jambes, juste des parties effleurées, agrippées quand elles sont reconnues. Effleurées. À l'aveugle. Deviner les corps. Ne pas les voir, juste les deviner. Le deviner. Celui bâti par eux, un corps unique. Les doigts innombrables, des paumes qui caressent, découvrent. Ils se cherchent. S'espèrent. Juste des gémissements, des râles, pas un mot. Ils se lèchent, s'aspirent, s'enfouissent sous les bras, dans des ventres. Sous des cuisses. Se réfugient. Là ils se réfugient. Peut-être ils sont vingt. Ou un seul. Ils forment un seul. Ils claquent des culs, caressent des cheveux. Ils entrent dans des culs. Dans des bouches. Dans le noir. Remontent leurs slips et tournent autour des couloirs, la main qui caresse le slip, cette raideur qui les fait avancer. Ils jouissent vite. Lâchent le jus sur une tête. Une cuisse, une main. Qui le porte à la bouche et le boit. L'étale sur un visage, ou sur un dos. C'est un seul corps qui se baise. Qui s'encule et se fait pomper par lui-même. Juste des râles. Pas de mot. Des milliers de mains qui le bâtissent et le révèlent. Le dessinent. Des culs qui se tendent, qui appellent, offerts, gémissent. Des bouches au niveau des culs, le corps par-dessus tête. Des amalgames. Qui gémissent, et râlent. Un seul corps qui prend, et qui est pris. Des souffles brûlants. Sur une joue, entre des lèvres des souffles qui restent. Longtemps. Les langues enlacées et l'odeur de soi multipliée. La saoulerie. Après la jouissance ils continuent. À se chercher. Eux-mêmes, dans l'autre. S'enlacent eux-mêmes, dans l'autre. Continuent à encore toucher l'autre. Attendre plus. Et toujours autre chose. Des peaux maigres. Des corps musclés. Qui se devinent et se caressent. Ne se reconnaissent pas. Une main dans une raie, douce, passe, excite. Une bouche qui tête un sein, l'avale, et des doigts sur un ventre, des joues. Toutes les parties du corps éparpillées et qui le recomposent, différent à chaque instant. Des râles. Des souffles rauques. L'odeur forte des sexes, des sexes offerts, qui prend à la gorge, et soûle. Les salives. Le jus qui coule des culs et des bouches. Le corps multiplié, mais seul. Absolument seul. Qui connaît ses propres mouvements. Se décompose, se recompose. Et jouit de lui-même, simplement de lui-même, respire et se régénère en lui. Comme une reine d'insectes.


Emmanuel Adely, Mon amour, Editions Joëlle Losfeld, 2004.


Pour moi, je m'en tiens à ma définition : « Le sexe est une urgence sans raison. » Ma question : pourquoi l'obscurité fait-elle partie du cérémonial des back rooms (parfois appelées “dark rooms ”, ‘pièce sombre') ? En fait, si, si, je sais très bien pourquoi le noir fait partie intégrante de ce rituel informe et solipsiste. Rien à voir avec l'ombre de la culpabilité judéo-chrétienne. Simplement le no man's land fantasmatique, le jeu, la surprise, la devinette, le nivellement par la pénombre de corporéités individuelles pouvant être disgracieuses, juste le Corps pluriel décomposé, recomposé, investigué dans une quête à la fois espérée et exaspérée. Une quête à l'aveugle et un cérémonial qui a ses règles et son code d'honneur (pas de paroles). Oui, il s'agit bien d'une liturgie en miroir, un « mystère » au sens antique du terme : « Prenez et baisez, ceci est mon Corps. Aimez-vous les uns dans les autres comme je m'aime moi-même. Que tous soient Un !»

En tout cas, grâce à l'ellipse et à l'accumulation, ce texte d'Emmanuel Adely, formidablement composé, est un morceau… d'anthologie !