INVITATION AU VOYAGE
Par Michel Bellin le lundi 6 avril 2009, 09:36 - Lien permanent
Samedi dernier, dans un temple de la rue Madame à Paris, j'assistai à un magnifique concert. Nous n'étions qu'une poignée d'auditeurs rassemblés en ce lieu austère et une amie m'avait refilé le tuyau sachant à quel point je vibre aux lieder romantiques. Après quelques magnifiques pièces de Schubert et de Wolf, j'étais impatient de découvrir trois mélodies d'Henri Duparc car, ne connaissant pas la langue allemande, j'étais impatient d'entendre comment des mots intelligibles allaient se marier à la musique. Surtout quand ces mots sont pour moi si familiers, si souvent susurrés puisqu'il s'agissait de poèmes de Charles Baudelaire. Dois-je ajouter que les deux jeunes gens étaient non seulement talentueux mais l'un et l'autre craquants, au point que quelques pensées très incarnées vinrent ça et là parasiter l'écoute tant le baryton Jean-François Rouchon présentait l'œil vif, le profil mince, la pomme d'Adam émouvante et les mains éloquentes de Melvil Poupaud, l'un de mes acteurs fétiches. Quant au pianiste, Lionel Bams, sobre et efficace, et également charmant, il réussit sur les derniers mots de « L'invitation au voyage » un friselis pianistique d'une très grande poésie. Quand la juvénilité virile s'allie au talent musical pour vous enivrer doublement !
« Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »
« Là, tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et volupté. »
L'invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Des meubles luisants,
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
Les miroirs profonds,
La splendeur orientale,
Tout y parlerait
À l'âme en secret
Sa douce langue natale.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Baudelaire, Les fleurs du mal [texte de 1861], LIII, La Pléiade, 1961.
PS J'ai écouté ensuite l'interprétation de l'indémodable Gérard Souzay avec Baldwin au piano. Quelle merveille !
C'est sur You Tube http://www.youtube.com/watch?v=162KCIkq5JU