NUIT DE NEIGE
Par Michel Bellin le jeudi 22 janvier 2009, 07:34 - Lien permanent
Allez, juste avant le redoux, on déguste encore un peu de froidure immaculée. On a beaucoup rouspété ces jours derniers, mais la neige, qu'est-ce que c'est beau, surtout lorsqu'on lit un recueil de poèmes bien au chaud sous la couette ! La poésie de Maupassant est à cet égard évocatrice et on l'attend si peu dans ce registre. À 17 ans pourtant, l'auteur de “Bel Ami” était poète, et il le restera jusqu'à ses 24 ans. Plus tard, ses poèmes, regroupés sous le titre « Des vers » et publiés en 1880, lui inspireront un vrai mépris : Maupassant se voulait nouvelliste, seulement nouvelliste. Mais faut-il brûler ce qui, adolescent, nous a enflammé ?
La grande plaine est blanche, immobile et sans voix.
Pas un bruit, pas un son ; toute vie est éteinte.
Mais on entend parfois, comme une morne plainte,
Quelque chien sans abri qui hurle au coin d'un bois.
Plus de chansons dans l'air, sous nos pieds plus de chaumes.
L'hiver s'est abattu sur toute floraison ;
Des arbres dépouillés dressent à l'horizon
Leurs squelettes blanchis ainsi que des fantômes.
La lune est large et pâle et semble se hâter.
On dirait qu'elle a froid dans le grand ciel austère.
De son morne regard elle parcourt la terre,
Et, voyant tout désert, s'empresse à nous quitter.
Et froids tombent sur nous les rayons qu'elle darde,
Fantastiques lueurs qu'elle s'en va semant ;
Et la neige s'éclaire au loin, sinistrement,
Aux étranges reflets de la clarté blafarde.
Oh ! la terrible nuit pour les petits oiseaux !
Un vent glacé frissonne et court par les allées ;
Eux, n'ayant plus l'asile ombragé des berceaux,
Ne peuvent pas dormir sur leurs pattes gelées.
Dans les grands arbres nus que couvre le verglas
Ils sont là, tout tremblants, sans rien qui les protège ;
De leur œil inquiet ils regardent la neige,
Attendant jusqu'au jour la nuit qui ne vient pas.
Guy de MAUPASSANT (1850-1893)(Recueil : Des vers)