L'anatomie est la grande chose du XVe siècle, comme la chirurgie pour le XVIe. Le jeune Ambroise, placé chez un chirurgien de Laval, devient aide-chirurgien-barbier à l'Hôtel-Dieu en 1536. Remarqué pour son habileté, il entre au service du duc de Montejeau et l'accompagne au siège de Turin. C'est là, aux armées, que se révèle le génie médical d'Ambroise Paré qui va innover à la fois par ses techniques chirurgicales et par le soin qu'il procure aux blessés. Sa renommée fut telle que les blessés le réclamaient de peur de souffrir et de mourir de leurs blessures.

L'œuvre enseignée et écrite par Ambroise Paré est la plus considérable somme médicale de son époque. Elle est faite des Dix livres de chirurgie, augmentés de nombreux traités sur toutes les disciplines. Certains sont particulièrement remarquables, c'est le cas du Livre de la génération dont j'emprunte plus loin deux extraits qui parle pour la première fois de l'amour en langue française dans le sens d'une fonction psycho-corporelle pour laquelle il n'hésite pas à nommer le plaisir, ni à décrire le jeu de l'approche amoureuse.

Le propos d'Ambroise Paré est de faire comprendre les mécanismes de la procréation. Il y intègre le plaisir et l'amour, en faisant un long développement – prédarwinien – sur l'utilité du plaisir pour la conservation de l'espèce. Cette nécessaire dimension amoureuse de la génération apparaît dans la richesse des termes qu'il utilise : « très grand plaisir », « envie extrême de s'accoupler », « chatouilleuse volupté », « aiguillon du plaisir », « plaisir indicible », « incomparable volupté »…

Les deux facettes de l'amour surgissent sous sa plume : le caractère instinctif de la reproduction (« si cela n'était pas inné… le genre humain périrait. ») et la dimension culturelle de l'érotisme (« l'homme étant couché avec sa compagne… il doit la mignarder, la chatouiller, la caresser… »). Ambroise Paré insiste sur la nécessité de l'apprentissage amoureux, de ne jamais faire l'amour « sans préliminaires » car, précise-t-il, « il y a des femmes qui ne sont pas si promptes à ce jeu que l'amour. »

Ses conseils sont extrêmement précis (voir plus loin), les préludes seront faits de baisers, de discours amoureux (« en lui parlant du jeu des Dames conquises… »), de caresses génitales destinées à « l'aiguillonner et à faire naître le désir « jusqu'à ce qu'elle désire le mâle ». Paré nous propose également un cataplasme émollient qui aura certainement la vertu d'être lubrifiant et de palier ainsi les fréquentes insuffisances du désir féminin ou l'impatience masculine. Il décrit enfin les nécessaires réactions sexuelles des deux partenaires qui accomplissent « leur jeu doucement, s'attendant l'un l'autre » afin que survienne « un plaisir indicible ».

Paré est médecin, il connaît l'amour, il le dit avec tact et subtilité, il est en cela l'un des premiers médecins de l'amour. Dans son Livre de la génération, l'auteur n'élude pas la dimension amoureuse et sexuelle de la procréation. En 1561, nous sommes encore dans un monde rural où les métaphores agricoles sont les mieux comprises : l'homme est un cultivateur qui jette sa semence dans le champ de la nature féminine. Mais pourquoi les parties génitales sont-elles accompagnées d'un grand plaisir ? « L'usage des parties géniales est accompagné d'un très grand plaisir et, chez les animaux qui sont en la fleur de leur âge, une certaine rage et de la cupidité viennent de cette activité que la Nature a voulue pour que l'espèce demeure à jamais incorruptible et éternelle par la multiplication des individus. Ainsi la Nature a voulu que les animaux fussent aiguillonnés d'une ardeur et d'une envie extrême de s'accoupler, et qu'à ce désir soit associée une grande et chatouilleuse volupté, afin que par l'aiguillon du plaisir, ils soient incités à se mettre en devoir de conserver leur espèce. C'est pour cela que la Nature a donné aux parties génitales un grand sentiment, plus aigu et plus vif qu'à aucune autre partie : personne ne doit ainsi s'étonner que sous leur action, elles ressentent la plus grande délectation et le plus grand plaisir.

(…) L'homme étant couché avec sa compagne et épouse, il doit la mignarder, la chatouiller, la caresser et l'émouvoir s'il trouve qu'elle est dure à l'éperon. Et le cultivateur n'entrera jamais dans le champ de la Nature sans préliminaires, sans qu'il n'ai fait ses approches, qui se feront en la baisant et en lui parlant du jeu des Dames rabattues, mais aussi en caressant ses parties génitales, ses têtons, sa poitrine, afin qu'elle soit aiguillonnée et excitée jusqu'à ce qu'elle désire le mâle (ce qui arrive lorsque son ventre lui frétille) afin que le désir lui vienne de faire l'amour et d'engendrer une petite créature de Dieu, et que les deux semences puissent se rencontrer : car il y a des femmes qui ne sont pas si promptes à ce jeu que les hommes.

Et pour faciliter les choses, la femme fera un cataplasme d'herbes chaudes cuites dans du bon vin, qu'elle appliquera sur ses parties génitales. Elle mettra également dans le col de l'utérus un peu de musc et de civette. Et lorsqu'elle se sentira alors excitée, elle le dira à son mari, ils se joindront donc ensemble et accompliront leur jeu doucement, s'attendant l'un l'autre, faisant chacun plaisir à son compagnon.Quand les deux semences seront réunies, l'homme ne doit pas se retirer rapidement afin que l'air n'entre pas dans la matrice et ne les altère pas, afin qu'elles se mêlent mieux l'une avec l'autre. Et dès que l'homme se sera retiré, la femme doit se tenir immobile, doit croiser les cuisses et les jambes en les tenant doucement rehaussées, de peur que dans le mouvement et la situation penchante, la semence ne s'écoule au-dehors. Pour les mêmes raisons, il faut qu'elle ne parle pas, ni ne tousse ni n'éternue, et qu'elle s'endorme rapidement si cela lui est possible. Ainsi Dieu donna à l'homme la femme pour aide et compagne et donna à l'un et à l'autre une vertu d'amour et un désir de se reproduire en ayant mis en eux une humeur, un sperme et les instruments convenables à cet usage. Et afin qu'aucun ne dédaigne l'attouchement de l'autre, il ajouta certains alléchements et certaines façons de faire attractives, avec un désir et un embrasement mutuel, afin que quand ils font l'amour survienne un plaisir indicible.
»


Extrait du Traité de la génération de l'homme d'Ambroise Paré (1561), cité par Philippe BRENOT, Les Médecins de l'amour, Zulma, octobre 1998.