L’OMNIPRÉSIDENT ET SON MINISTRE
Par Michel Bellin le dimanche 18 janvier 2009, 09:12 - Lien permanent
Les vers sont bien troussés, la pensée incisive, la critique salutaire. Je ne résiste donc pas à mettre en ligne aujourd'hui cet extrait de la funeste tragi-comédie qui est en train de se dérouler sous nos yeux. Car ici à l'école, là à la justice, ailleurs dans la presse, avant- hier à la télé, partout dans les médias, dans les prisons aussi et les centres de rétention, ainsi qu'à l'hôpital public et jusque sur les bancs de l'opposition parlementaire, partout, insidieusement, doucereusement, cyniquement, notre Démocratie - sous couvert de modernité ultralibérale - est grignotée par le clown poissard et autocrate qui nous gouverne et prétend tout réformer sans âme, sans répit, sans élégance et sans concertation. Mais pas sans contestation ! Il y a en tout cas urgence car le diagnostic est sévère et le pronostic vital engagé : si le goitre narcissique (associé aux tics faciaux et aux spasmes scapulaires) est disgracieux mais somme toute bénin, si la logorrhée autosatisfaite avec pics triviaux est parfois rééducable avec succès, si l'émotionite démagogique suraiguë se soigne bien avec le traitement approprié, si la réformitose chronique peut à la rigueur être encore opérée avant la cinquantaine, par contre les symptômes associés de démantèlement du lien social et de psychose liberticide requièrent la veille sanitaire pouvant conduire à l'internement d'office afin d'isoler, à l'instar du sarcome de Kaposi, le bacille de Sarkozy tout aussi redoutable et pernicieux. Et pour commencer le traitement de choc, rien ne vaut ce pamphlet ad hoc !
L'OMNIPRÉSIDENT
Entrez-donc mon ami et venez prendre place
Afin de me conter ce qui vous embarrasse.
La réforme est lancée, elle avance à grands pas
Mais je vois bien qu'à tous celle-ci ne plaît pas.
Aussi voudrais-je entendre de votre propre bouche
Pourquoi les enseignants osent prendre la mouche.
LE MINISTRE
Mon Bienfaiteur et Prince, ne vous alarmez point ;
Voyez comme en ces temps je sais rester serein.
J'ai fait ce qu'il fallait et fais preuve d'audace.
Je lâche d'un côté mais je reste coriace
Car si vous êtes, ô Maitre, notre hyper président,
Point ne serai enclin au moindre renoncement,
Voulant pour la Patrie conjurer ma disgrâce…
L'OMNIPRÉSIDENT
N'ayez crainte, contez, je ne tiens plus en place !
LE MINISTRE
J'ai d'abord pour vous plaire modifié les programmes
Pour faire de chaque élève un besogneux sans âme.
Ils se feront gaver du matin jusqu'au soir
Et n'auront plus de sens à donner au savoir ;
Voilà qui nous fera des citoyens dociles
Qui ne s'attacheront qu'à des choses futiles.
L'OMNIPRÉSIDENT
Fort bien, les programmes sont un bel artifice
Pour manœuvrer les gens non sans quelque malice.
Voyez ce que je fis pour prendre le pouvoir
Promettant des réformes, n'en disant que très peu,
Pour qu'une fois reçu l'aval des isoloirs
Je puisse me sentir libre et faire ce que je veux !
Mais veuillez donc poursuivre votre plan de disgrâce
J'exige de savoir !
LE MINISTRE
Voilà ce qui se passe :
Je commence par rayer en trois ans les RASED
Et pour tromper les gens sur le maintien de l'aide
Je laisse aux enseignants l'entière liberté
De s'occuper tout seuls de la difficulté.
Ils auront pour cela comme unique bagage
La chance de pouvoir faire quelques journées de stage !
J'ai enlevé deux heures d'école par semaine
Mais évidemment pas pour ceux qui mal apprennent :
On dit la journée de trop longue durée,
Qu'il faudrait réformer notre calendrier
Et moi je vous dis qu'il en faut d'avantage
Et qu'il faut les forcer même jusqu'au gavage !
L'OMNIPRÉSIDENT
C'est à n'en point douter une idée fort plaisante,
Le mérite sera la seule aune payante !
LE MINISTRE
Pour ceux voulant apprendre de maître le métier
Je les envoie le faire à l'université.
Voyez l'inanité d'une vraie formation !
Nous qui n'avons besoin que d'agents et de pions !
Cela vous convient-il ?
L'OMNIPRÉSIDENT
Assurément je pense,
Mon humeur est ravie et elle est d'importance
Car c'est elle qui règle le cours de mes pensées
qui surfent nuit et jour sur l'actualité.
Mon caprice me met dans des emportements,
J'ai des mots qui n'ont rien de ceux d'un Président !
Je flatte ce qu'il faut des instincts les plus bas,
Parle plus en mon nom qu'en tant que chef d'Etat,
Sur toutes mes idées je veux qu'on légifère
Et ne supporte pas qu'on m'empêche de le faire.
Des médias je me sers et grâce à mon emprise
Ils me flattent au mieux dans toutes mes entreprises,
Enfin, si j'utilise les services de la Presse
C'est parce qu'aux yeux du peuple il faut que je paraisse.
Quand l'opinion est molle, les sondages en méforme,
Je botte alors en touche et lance une réforme,
Une autre, puis une autre car plutôt que l'action
Ce qui compte pour durer, c'est faire diversion.
Mais contez-moi encore votre train de mesures.
LE MINISTRE
De l'école en danger j'augmente la fêlure:
Il existe des classes que l'Europe nous envie
Accueillant les plus jeunes des enfants du pays.
Il serait opportun de les faire disparaître
Pour affecter ailleurs ce réservoir de maîtres
Qui ne font de leur temps que des couches changer
Et ne connaissent point les joies de la dictée.
Des enseignants en moins réduiraient nos dépenses
Qu'avons-nous donc besoin de maternelles en France !
Afin de remplacer les absences des maîtres
Avec tous ceux qui veulent, une Agence va naître.
Si celui qui remplace se trouve être plombier,
La chaudière scolaire il pourra réparer,
S'il est mécanicien et connait son métier
Les voitures des collègues il pourra bricoler,
Et si par pure chance il se trouve enseignant
Il pourra pendre en charge une classe d'enfants !
L'OMNIPRÉSIDENT
Je reconnais bien là votre astuce admirable
Et votre esprit retors qui ne se sent coupable !
Je veux des règlements et des décrets-programme.
Foin de pédagogie, finis les états d'âme.
Cette école qui veut faire des citoyens,
Il faut qu'à l'avenir elle n'en fasse rien !
Œuvrez donc, mon ami, la tâche n'est pas mince
Car c'est l'éducation qui menace les Princes !
En date du vendredi 16 janvier 2009, Ecole Maurice Berteaux 1 Cormeilles en Parisis 95 <0950087d@ac-versailles.fr> a écrit ce texte, avec quelques ajouts et améliorations stylistiques de M. Bellin [en italiques].