Noël se prépare, la dégoûtante nostalgie une fois encore. Fête de la famille rassemblée à mijoter dans ses préjugés, cadeaux, foie gras, crème Chantilly, sapins givrés, mitraillettes, tanks miniaturisés, fusées, menus aux portes des restaurants, réveillons pour le prix d'un mois de travail d'un émigré, tout cela sous l'averse des lumières multicolores, insulte aux pauvres du monde entier. Naïveté ! Je sais. Mais on ne décide pas de sa colère.

Je n'ai rien contre les fêtes du Solstice et du sang. Elles sont signes de santé même si elles ne lèvent les barrages que pour contenir mieux. L'espérance peut pousser dedans et pas seulement au petit matin des gueules de bois.

Mais enfin Noël n'a rien à voir avec ces faux délires, artificiels et commerçants. Les églises le disent parfois en exhortations. Seul un acte signifierait. Qu'elles s'absentent, émigrent ! Ce serait un jugement, une traînée de lumière.

Je le crains, ce serait encore recherche de l'éclat et du miracle. Peut-être finalement est-il meilleur que le mystère survienne mélangé à la dérision. Jésus aussi perdu, inconnu, au milieu des glorifications mondaines, qu'il y a vingt siècles. Aux “ pauvres ” de le choisir secrètement dans leur cœur.

(…)

Bénédiction à l'enfance heureuse.

Rien pour un enfant ne remplacera jamais l'expérience de l'amour absolu d'un père et d'une mère. Que la famille soit intense mais rapide pour la sainte blessure et la nouvelle naissance. Car toutes choses tendent à se substituer au ventre maternel pour nous maintenir dans la caverne des illusions : la nostalgie, les affaires, l'argent, l'art, le plaisir quand il ne laisse point place à la joie, l'amour s'il n'est que remède à l'ennui, la religion quand elle dorlote, toute mémoire, heureuse ou malheureuse, qui nous mure dans l'individualité. Nous ne sommes pas encore nés.

La famille désunie est un enfer. Il y a parfois pire : une famille unie.

Si vous êtes père ou mère, soyez-le bien, le moins longtemps possible. N'ayez pas trop besoin de vos fils pour exister. D'ailleurs ils vous le feraient payer. Vienne vite le temps qu'ils vous choisissent. Vous ne verrez pas tous l'an 2000. Ils seront en pleine forme. Les convertir à vous, c'est les assassiner. Pour ça que beaucoup s'effacent sans mot dire, sans maudire. La nature fait bien les choses qui souvent dresse les fils contre la sagesse des pères. Trop de docilité et d'imitation : l'ennui asphyxierait le monde. Réjouissez-vous donc secrètement de leur insolence, sans leur jouer la comédie de la jeunesse et sans préjugé favorable pour cet âge imbécile.Et baissez le pont-levis, haussez la herse…


Jean Sulivan, Matinales, Gallimard, 1976.