Si l'on utilise la métaphore de la musique, ne peut-on pas dire que chaque thérapie est une partition originale ? Œuvre vivante et vivifiante, sans cesse renouvelée, improvisation toujours en duo et qui va de l'avant, qui progresse, quelles que soient la rythmique et les nuances. Ces deux personnes - l'analyste et son patient - vont supporter ensemble, d'abord entendre, ce qui va être entrelacé en dialogue par-delà les silences ou les couacs de la communication… et de leur propre existence. Dans cette partition de la créativité thérapeutique, bémols et dièses (dont l'analyste joue sans cesse par touches discrètes : questions, suggestions, renvois, leït-motif d'une phrase du patient reprise en écho…) vont avoir une grande importance en mettant en œuvre avec doigté le tact, l'attention, le sens de la nuance : ne pas bousculer la cadence de la communication, respecter le tempo de la vie, être imaginatif et attentif à l'Autre sans se laisser envahir ni aveugler par la théorie psychanalytique car lorsqu'on est musicien, la théorie musicale s'oublie au profit de l'interprétation. L'analyste est ainsi cet interprète de l'âme humaine, cet organiste talentueux qui tire de son instrumentarium aux mille tuyaux un jeu chaque fois nouveau : en tirant une manette, il suscite ici un timbre plus flûté, là un jeu d'anche plus incisif, avec toujours le son grave du pédalier qui soutient la partition. L'empathie de l'analyste est ce son grave enveloppant, sécurisant, les fondamentales de l'harmonie pour accompagner et faire advenir aux différents claviers une pulsion multiforme de vie qui avait été mise au ralenti voir carrément bloquée. Là, se joue la créativité de l'analyste, sa propre partition, mains et pieds accordés, une partition toute en douceur et en doigté, comme l'organiste qui du haut de sa tribune est attentif à l'écho et à la réverbération, attentif aux sinuosités d'une existence blessée, aux balbutiements de son patient en quête de sens et de mieux-être : que va-t-il susciter en lui ? Eveiller ? Quels timbres insoupçonnés ? Quelles nouvelles harmoniques ? Comme un accord qui doit se résoudre car aucune partition, toccata ou sonate, ne peut rester indéfiniment suspendue dans le vide. Il faut une résolution musicale, fût-ce un point… d'orgue qui peut sembler interminable ! Dans ce duo parfois languissant, parfois haletant, parfois suspendu à la limite de l'inaudible, le rythme peut bien sûr être différent ; la pulsion de vie ainsi suscitée, tel l'archet sur les cordes, passant d'un vivace à un andante pour se prolonger dans un silence expectatif. Peu importe, ni fièvre ni urgence, pas de théorie à prouver, pas de performance à atteindre, pas même la guérison ici et tout de suite, seule la vie qui va. Ce flux que l'analyste tisse patiemment, c'est un fil conducteur, un suivi, un continuo. Toujours dans la disponibilité à l'Autre, le non jugement, dans la réserve attentive et respectueuse. Pas de monologue, toujours un dialogue. Paradoxal duo ! Paradoxe d'une parole balbutiante qui s'enracine dans un silence dévasté pour s'ancrer, se greffer sur un autre silence ; mais il s'agit cette fois d'un silence habité et porteur. D'où peut naître un surgeon.

Le patient s'est fait conteur et le médecin écoutant.