Bernard-Henri Lévy a raison : ce qui compte, ce sont les mots. La moindre des choses, quand on se livre à un réquisitoire aussi violent que le sien, serait donc de citer les phrases de Siné, afin de montrer l'évidence "odieuse, inexcusable, mortelle" de son fanatisme antisémite. Il s'en garde bien, et pour cause. S'il citait les phrases, le lecteur pourrait se rendre compte d'une autre évidence, pointée avec colère par Gisèle Halimi : dans un procès en justice, il n'y aurait strictement aucune chance pour que Siné, sur la base de ces lignes, soit condamné pour antisémitisme. La philosophie médiatique n'en est pas à une simplification ou un amalgame près pour frapper l'opinion. Inutile de discuter : on sait "ce que pensent les amis de Siné", ces "âmes glauques qui tripatouillent dans les histoires de sang, d'ADN, de génie des peuples, de race". De telles phrases n'appellent pas de réponse. Mais quelques commentaires, tout de même.

Il était prévisible que cette affaire suscite les récurrents effets de manche et sonneries de tocsin. Il n'y a là qu'un symptôme supplémentaire d'un triste état de fait : on ne respire plus, dans ce pays. La France pète de trouille, et ça ne sent pas bon. La poltronnerie de la plupart favorise l'autoritarisme de quelques-uns. Toute pensée, toute parole libres sont immédiatement soumises à un feu roulant d'intimidations, de condamnations ronflantes et sans appel. Comme le dit un proverbe japonais : "Le clou qui dépasse appelle le marteau." Malheur à celui qui critique les replis communautaristes, l'invasion massive du religieux dans l'espace public, la défaite annoncée de la laïcité dont le discours de Latran était un avant-goût, les clés des banlieues remises aux barbus par une république capitularde, l'arrogance grandissante des imams et des rabbins, la montée des intégrismes sous couvert de quête légitime d'identité, la politique israélienne ou palestinienne. Antisémite ! Islamophobe !

La rhétorique victimaire, chère à nos dirigeants, est omniprésente. Philippe Val n'est plus un patron de journal qui a licencié arbitrairement un collaborateur : il devient la victime d'une horde déchaînée dont l'œil perçant du philosophe a saisi les motivations racistes. Ainsi Jean Sarkozy, bien fils de son père en matière d'arrogance, d'opportunisme et de grossièreté, est transformé en victime d'attaques honteuses dignes du Pilori (un journal antisémite sous l'Occupation) ou de la Milice.

Pourquoi le texte de soutien à Siné a-t-il recueilli plus de 2 000 signatures ? Bernard-Henri Lévy feint d'y voir un signe supplémentaire de la montée de l'antisémitisme en France. Les signataires se sentiront légitimement insultés par une telle accusation, qui n'est pas seulement injuste mais aveugle. Il semble que nos penseurs n'aient pas pris la mesure du sentiment d'asphyxie qui gagne de nombreux concitoyens, dans une société de surveillance mutuelle et de soumission générale. A l'heure où les humoristes graveleux et serviles imposent partout leur présence - et jusque dans l'entourage présidentiel -, nous avons besoin, un besoin vital, des outrances et des gueulantes d'un Siné. Souvenez-vous des couvertures qu'osaient publier il y a vingt ans Charlie Hebdo ou Hara-Kiri, et comparez avec ce qui se publie aujourd'hui : le chemin parcouru est atterrant.

OÙ EST L'OPPOSITION ?

Comme le monde est devenu simple ! La vérité nous est assenée jour après jour par une armée de journalistes conformes et de penseurs autorisés, qui nous débitent à toute heure leurs discours identiques. Où est la presse libre ? Où est l'opposition ? Le seul quotidien estampillé de gauche consacre cinq pages à Carla Sarkozy pour la sortie de son disque, dont les chaînes publiques assurent la promotion. La presse satirique a trempé son esprit d'insolence dans les bénitiers communautaires. Pas un organe de presse, pas une chaîne de télévision qui soit désormais en état de faire entendre une voix discordante. Le Parti communiste a disparu entre deux lames du parquet, l'extrême gauche tapine chez Drucker, le Parti socialiste mijote au tout petit feu des ambitions triviales, les syndicats se laissent tondre la laine sur le dos.

Dans une Europe barricadée, la maison France a fermé portes et fenêtres. La police du langage surveille chacune de nos phrases. Nous vivons dans l'obscurité des vérités communes, des hypocrisies admises, des bienséances cathodiques, des peurs silencieuses, des grandiloquences convenables. Comme il est doux de pleurer ensemble à la libération d'Ingrid Betancourt, tandis qu'on laisse crever en silence Marina Petrella dans sa cellule en attendant de refiler son presque-cadavre à notre ami Berlusconi... Ouvrez ! On étouffe, ici !

________________________________________Jean-Marie Laclavetine est écrivain.

Article paru dans Le Monde (ouf !) du 1er Août 2008

POST SCRIPTUM 1

« La » fameuse petite phrase de celui par qui le scandale est arrivé : « « Jean Sarkozy, digne fils de son paternel et déjà conseiller général de l'UMP, est sorti presque sous les applaudissements de son procès en correctionnelle pour délit de fuite en scooter. Le Parquet a même demandé sa relaxe ! Il faut dire que le plaignant est arabe ! Ce n'est pas tout : il vient de déclarer vouloir se convertir au judaïsme avant d'épouser sa fiancée, juive, et héritière des fondateurs de Darty. Il fera du chemin dans la vie, ce petit ! »

POST SCRIPTUM 2

La chronique de Siné non publiée
dans Charlie Hebdo du mercredi 23 juillet

"JE NE PARTIRAI QUE PAR LA FORCE DES BAÏONNETTES !

"Il a préféré s'exclure de nos colonnes et je le regrette." C'est dans ces termes que Philippe Val terminait son éditorial dans le dernier Charlie. Mes avocats sont formels : cela ne signifie aucunement que je sois viré. Il laisse seulement croire que j'ai démissionné, ce qui est absolument faux. Je continuerai donc, jusqu'à la réception d'une lettre officielle de licenciement à envoyer régulièrement ma rubrique ! Je vais, aujourd'hui, vous dire mon intime conviction : Philippe Val ayant tous les pouvoirs à Charlie et régnant en maître absolu sans jamais tenir aucun compte de l'avis de ses collaborateurs, m'en voulait à mort d ‘être le seul résistant depuis la mort de Gébé et d'écrire, dans ce qu'il appelait, avec un certain culot, "SON" journal, des propos souvent diamétralement opposés aux siens. Il caressait, depuis longtemps, l'envie de m'évincer mais craignait de violentes réactions. (A juste titre, car on assiste, depuis une semaine, à un véritable tsunami de protestations indignées). Il n'osait m'attaquer de front, mais m'asticotait souvent, me demandant lui-même ou par sectateurs interposés, de changer un mot ou de corriger une phrase qui le choquait. L'excuse invoquée, à tous les coups, était la crainte d'un procès. Certains de mes propos pouvaient, d'après lui, être mal interprétés et passer pour homophobes, antiféministes mais, le plus souvent, antisémites. Je luttais pied à pied mais abandonnais toujours et finissais par trouver une formule moins percutante mais qui le satisfaisait. (Je ricane doucement quand il prétend ne pas avoir lu mon texte car, quand il ne les épluchait pas lui-même, il envoyait au charbon Gérard Biard, Oncle Bernard ou carrément Richard Malka, son avocat (qui est aussi celui de Clearstream !) Ma dernière "zone" où je prenais la défense de Denis Robert l'a mis dans tous ses états. Fou de rage, il a confié le soin à l'un de ses copains, n'osant le faire lui-même, un dénommé Askolovitch du Nouvel Obs, de me régler mon compte. Je vous fais grâce des épisodes sordides et la plupart du temps, douloureux, au cours desquels Charb, que j'appelais jusque là affectueusement mon "neveu", s'est conduit d'une façon invraisemblable qui défie toutes les lois de l'amitié ! Je ne l'ai pas encore digéré, j'en ai gros sur la patate ! Au final, je poursuis en correctionnelle l'imprudent journaliste qui s'est permis de me traiter d'"antisémite" sur les ondes de RTL à une heure de grande écoute et de répéter les propos de son pote Val me qualifiant, en plus d'antisémite, d'« ordure » ! Ils vont apprendre qu'on ne diffame pas impunément ! Quant à mon supposé antisémitisme, je n'ai jamais été antisémite, je ne suis pas antisémite, je ne serai jamais antisémite. Je condamne radicalement ceux qui le sont mais je n'ai guère d'estime non plus pour tous ceux, juifs ou non, qui jettent inconsidérément ce mot abject à la gueules de leurs adversaires pour les déconsidérer sachant que cette accusation est l'insulte suprême depuis la Shoah. Cela devient proprement insupportable ! En ce qui me concerne, j'éprouve autant d'antipathie pour tous ceux qui, encore une fois, juifs ou non, qui défendent le régime israélien que pour ceux qui défendaient l'apartheid en Afrique du Sud. Depuis 60 ans, j'ai toujours lutté contre toute forme de racisme et si j'avais eu l'âge de cacher des Juifs pendant l'Occupation, je l'aurais fait sans hésiter, comme je l'ai fait pour les Algériens pendant la guerre d'Algérie. Je suis du côté de tous les opprimés ! Si Val me cherche des poux dans la tête, peut-être est-ce pour remercier le président de la République de lui avoir manifesté son soutien au cours du procès des caricatures de Mahomet ? Je sais qu'il me prépare un coup fourré… Il est en train de trier fébrilement tout le courrier ne gardant, pour les publier, que les lettres hostiles beaucoup moins nombreuses. Le pire est qu'il va publier aussi des lettres d'antisémites notoires, genre Dieudonné et consorts, me félicitant… D'avance je dénonce cette entourloupe qui ne convaincra, je l'espère, que les convaincus. Les autres ne seront pas dupes de ce stratagème déloyal. Je suis très déçu de l'attitude de la plupart des collaborateurs du journal qui n'ont pas su saisir la balle au bond quand leur « patron » a menacé de démissionner s'ils ne me désavouaient pas tous, tant pis mais LA LUTTE CONTINUE !"

(sur le site nouvelobs.com)

POST SCRIPTUM 3

Le titre initial de mon blog était : « Ça pue et on étouffe en France ! ».Ce sera ma conclusion.

Bon chassé croisé et à lundi !