(…) Que vos compagnes soient des filles mortifiées par le jeûne, et que la pénitence apparaisse sur leur visage pâle et défait ; que la maturité de leur âge et la régularité de leur vie leur aient acquis l'estime générale; qu'elles chantent tous les jours dans leurs cœurs : « Où faites-vous paître votre troupeau, où prenez-vous votre repos à l'heure de midi ? » et « Je désire me voir dégagée des liens du corps et rester avec Jésus-Christ. »

A l'exemple de votre époux, obéissez à vos parents ; sortez rarement, et visitez les martyrs dans votre chambre. Si vous sortez chaque fois que vous le croyez nécessaire, les prétextes ne vous manqueront jamais. Mangez peu, et ne chargez jamais votre estomac de viandes. Il y en a qui se réservent sur le vin, mais qui s'accablent de viandes. Quand la nuit vous vous levez pour prier Dieu, si vous avez des rapports, qu'ils viennent de besoin et non de réplétion. Lisez souvent et apprenez beaucoup de mémoire ; ne vous endormez jamais que le livre à la main, et laissez-le tomber de sommeil. Jeûnez tous les jours et restez toujours sur votre appétit. A quoi sert un jeûne de deux ou trois jours, si par compensation on mange ensuite avec excès ? Un estomac chargé matérialise l'esprit et donne lieu à mille désirs impurs, comme une terre qui a reçu trop d'eau ne produit que des épines et des ronces. Si, après le repas du soir, vous vous sentez au lit trop émue par ces désirs vagues que la jeunesse inspire et par les douces impressions des sens, armez-vous aussitôt du bouclier de la foi pour éteindre ces traits enflammés du malin esprit. « Ce sont tous des adultères » dit le prophète Osée, « et leur cœur est semblable à un four chaud. » Mais vous, en la compagnie de Jésus-Christ, écoutez bien sa parole et dites avec les disciples : « N'est-il pas vrai que notre cœur brûlait dans le chemin lorsque Jésus nous expliquait les Ecritures ? » et avec le prophète-roi « Votre parole est toute brûlante, et votre serviteur l'aime uniquement. »

Ne rien aimer c'est difficile ; il y a nécessité pour le cœur humain de s'attacher à un objet quelconque : l'amour spirituel bannit de nos cœurs l'amour matériel ; les désirs de l'un étouffent ceux de l'autre, et celui-là s'accroît au détriment de celui-ci. Dites souvent sur votre lit : « J'ai cherché mon bien-aimé durant toute la nuit. » « Faites donc mourir, dit saint Paul, les membres de l'homme terrestre qui est en vous. » Aussi le même apôtre disait-il avec confiance: « Je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi. » Quand on mortifie son corps et qu'on voit le siècle présent comme une ombre fugitive, craint-on de dire : « Je suis devenu comme un vase de peau exposé à la gelée ? » Comme la cigale, toutes les nuits arrosez votre lit de vos larmes; veillez comme le passereau sur un toit isolé, chantez de cœur et d'esprit : « Mon âme, bénissez le Seigneur et n'oubliez jamais ses bienfaits, puisque c'est lui qui vous pardonne toutes vos iniquités, qui vous guérit de tous vos maux et qui rachète votre vie de la mort. » Qui de nous peut dire du fond du cœur : « Je mangeais la cendre comme le pain, et je mêlais mes larmes à ma boisson ? » Ne dois-je pas pleurer et gémir sans cesse? Le serpent par ses dangereuses suggestions ne me sollicite-t-il pas de manger du fruit défendu? Après m'avoir chassé du paradis, où je jouissais des douceurs de la virginité, ne veut-il pas me couvrir de cet habit de peau qu'Elie jeta à terre en retournant à ce jardin de délices? Pourquoi goûter des plaisirs qui n'existent qu'en passant ? Pourquoi se laisser prendre à l'harmonie enchanteresse mais fausse de ces dangereuses sirènes ? Non, point de cette peine à laquelle Dieu a condamné l'homme coupable. «Vous enfanterez, dit-il à la femme, dans les tourments et dans les angoisses. » Cette loi n'a point été faite pour moi : « Et vous vous attacherez uniquement à votre mari. » Qu'elle s'attache donc à son mari celle qui n'a point Jésus-Christ pour époux. Enfin Dieu a ajouté : « Et vous mourrez. » Voilà le résultat du mariage. Il n'y a point de différence de sexe dans la profession que j'ai embrassée. J'admets que Dieu a autrefois établi le mariage, mais Jésus-Christ et Marie ont consacré la virginité.

On me dira sans doute : comment osez-vous mal parler du mariage, que Dieu a béni ? Préférer la virginité au mariage n'est pas en dire du mal. Compare-t-on jamais le mal au bien ? Les femmes mariées doivent même se faire gloire de marcher après les vierges. Dieu dit à l'homme : « Croissez, multipliez et peuplez la terre. » Que ceux-là croissent et multiplient qui doivent peupler la terre ; mais ils sont dans le ciel ceux qui comme vous pratiquent la virginité. Chassé du paradis terrestre, dépouille de la justice originelle et couvert de feuilles de figuier, indice des désirs déréglés du mariage, alors l'homme a exécuté le commandement du Créateur. Que ceux qui ont été condamnés à manger leur pain à la sueur de leur front, à cultiver une terre ingrate qui ne rapporte que des ronces et des épines, et à voir leur semence étouffée sous les ronces, que ceux-là se marient : la semence que je jette en terre produit au centuple. Tous les hommes ne peuvent pas garder la continence : ceux-là le peuvent qui ont reçu de Dieu le don de chasteté. La nature et la violence font des eunuques involontaires : pour moi, je veux le devenir par mon propre choix. « Il y a un temps d'embrasser et un temps de ne pas embrasser ; il y a un temps de jeter les pierres et un temps de les ramasser. » Durs et insensibles auparavant, les gentils sont devenus enfants d'Abraham, et « les pierres saintes ont commencé à rouler sur la terre » car elles sont dans le chariot de Dieu comme des roues roulant avec impétuosité au travers des bouleversements et des révolutions qui caractérisent le siècle présent. A-t-on perdu la robe sans couture dont on était revêtu, prend-on plaisir aux cris d'un nouveau-né qui déjà pleure le malheur de sa naissance, qu'on se fasse des habits de peau. Dans le paradis terrestre Ève était vierge, et le mariage ne vint qu'après que l'homme et la femme eurent des habits de peau. Née dans le paradis, maintenez-vous dans les droits de votre heureuse naissance, et dites avec le prophète-roi : « Retournez, ô mon âme, au lieu de votre repos. » La virginité n'est-elle pas naturelle à l'homme et le mariage n'est-il pas une suite et une conséquence de sa désobéissance, puisqu'il produit des enfants vierges, et qu'il donne dans le fruit ce qu'il a perdu dans la racine ? « Il sortira un rejeton de la tige de Jessé, et une fleur naîtra de sa racine. » Ce rejeton est la mère de notre Seigneur, rejeton simple, pur, isolé de germe étranger, et qui seul et sans le secours d'aucune autre créature a produit son fruit par une fécondité comme semblable à celle de Dieu même.

La fleur qui sort de ce rejeton est Jésus-Christ, qui dit dans les Cantiques : « Je suis la fleur des champs et le lis des vallées. » Il est encore figuré par cette pierre qui se détacha d'elle-même de la montagne, le prophète voulant indiquer parce qu'un homme vierge devait naître d'une mère vierge. L'Ecriture sainte prend souvent la main pour l'action même du mariage, comme dans les Cantiques : « Il met sa main gauche sous ma tête et il m'embrasse de sa main droite. » C'est ce qui est encore indiqué et par les animaux impurs entrés deux à deux dans l'arche de Noé, les animaux purs étant en nombre impair, et par l'ordre donné à Moïse et à Josué de marcher pieds nus sur la terre que Dieu avait sanctifiée par sa présence, et par l'ordre donné aux apôtres d'aller prêcher l'Evangile sans porter de souliers, qui auraient pu les embarrasser dans les fonctions de leur ministère. Les soldats qui tirèrent au sort les vêtements du Sauveur et qui se les partagèrent ne trouvèrent pas de souliers, car Jésus-Christ, qui les avait défendus à ses disciples, n'en portait pas.

Je loue le mariage parce qu'il enfante des vierges : c'est une épine qui porte des roses, une terre qui rend de l'or, une nacre à perles. Est-ce que le laboureur laboure sans cesse ? Ne prend-il pas le loisir de jouir de ses travaux ? Aimer beaucoup les fruits du mariage c'est le respecter. Ô mère, pourquoi regarder votre fille avec envie ? Ne l'avez-vous pas nourrie de votre lait, élevée sur votre sein ? N'avez-vous pas veillé sur sa virginité avec toute la sollicitude d'une mère ? La blâmez-vous d'avoir épousé un roi plutôt qu'un simple soldat ? Remerciez-la de son choix, puisque vous êtes devenue la belle-mère d'un Dieu.


St Jérôme, Du soin de conserver la virginité.

Traduction de Louis-Aimé Martin in De l'éducation des mères de famille.