L'amour chinois n'est pas l'amour européen.
L'Européenne vous aime avec transport, puis tout d'un coup, elle vous oublie au bord du lit, songeant à la gravité de la vie, ou à rien, ou bien tout simplement reprise par l' « anxiété blanche ».
La femme arabe se comporte comme une vague. La danse du ventre, souvenez-vous en, n'est pas une simple exhibition pour les yeux ; non, le remous s'installe sur vous, vous êtes emporté et vous vous retrouvez un peu après un peu béat, sans savoir exactement ce qui vous est arrivé, ni comment.
Et elle aussi se met à rêver, l'Arabie se dresse entre vous. Tout est fini.
La femme chinoise, pas du tout. La femme chinoise est comme la racine du banian, qui se retrouve partout, jusque parmi les feuilles. Telle, et quand vous l'avez introduite dans votre lit, il vous faut des jours pour vous en dégager.
La femme chinoise s'occupe de vous. Elle vous considère comme en traitement. A aucun moment, elle ne se tourne de son côté. Toujours enlacées à vous, comme le lierre qui ne sait pas s'isoler.
Et l'homme le plus remuant la retrouve proche et aisée comme le drap.
La femme chinoise se met à votre service, sans bassesse, il ne s'agit pas de cela, mais avec tact, justesse et affection.Il y a un moment, après d'autres moments, où presque tout le monde a envie de se reposer.
Vous peut-être, pas elle. Cette fourmi cherche aussitôt du travail et la voilà qui, attentive, procède à la mise en ordre de votre valise.
Véritable leçon d'art chinois. On la regarde stupéfait. Pas une épingle de sûreté, pas un cure-dent qu'elle ne tourne et ne déplace et ne mette dans une position parfaite et telle que des siècles et des millénaires de savante expérience sembleraient l'avoir enseigné.
Pas un objet dont elle ne s'informe par gestes, qu'elle n'essaie et n'expérimente et juge, et avant de le placer, elle joue avec. Puis, quand vous regardez toute cette ordonnance, il semble que le contenu de votre valise a maintenant quelque chose de poupin, de poupin et de dur aussi, et en quelque sorte d'indéréglable.
Quand la Chinoise parle d'amour, elle peut parler indéfiniment, on ne s'en lasse pas, elle peut même parler d'autre chose, comme elle fait probablement, elle a le langage de l'amour, l'amour est fait de monosyllabes (dès qu'un mot s'allonge, il a l'air de s'en aller et de tirer à lui, dès qu'une phrase paraît, la phrase vous sépare).
La langue chinoise est faite de monosyllabes, et des plus courts, des plus inconsistants, et avec quatre tons chantés. Et le chant est discret. Une sorte de brise, de langue d'oiseaux. Langage si modéré et affectueux qu'on l'entendrait toute sa vie, sans s'énerver, même ne le comprenant pas.
Telle est la femme chinoise. Et cependant, tout cela ne serait rien si elle ne remplissait cette admirable condition du mot mitschlafen, dormir avec. Il y a des hommes tellement remuants que même leur oreiller, ils le jettent par terre sans s'en douter.Comment fait la femme chinoise ? Je ne sais ; une sorte de sens de l'harmonie, subsistant dans son sommeil, par des mouvements appropriés, ne jamais se détacher, toujours se subordonner à ce qui serait tout de même si beau : être harmonieusement deux.


Henri Michaux, Un barbare en Chine, Coll. Imaginaire, Gallimard

DEMAIN, "CHRONIQUE D'UNE MELANCOLIE", début de la nouvelle saga littéraire de vos prochains week-ends bellinesques !