À UN PAPE
Par Michel Bellin le vendredi 18 avril 2008, 10:47 - Lien permanent
Pier Paolo Pasolini est mort le 2 novembre 1975. À l'époque j'étais prêtre, pas encore pédé (!) et son assassinat sur une plage d'Ostie me bouleversa. Je vis toujours dans le somptueux halo de sa vie et de sa poésie. Vaste panorama autobiographique, l'œuvre poétique de cet artiste aux multiples formes d'expression permet de le suivre à chaque instant de sa création : poète pamphlétaire, ironique et tendre, violent et cinglant, lyrique et prophétique, à jamais immense et en même temps si proche, si rebelle, si pur.
Adulte ? Jamais – jamais, comme l'existence
qui ne mûrit pas – reste toujours verte
de jour splendide en jour splendide.
(Dal Diario, Sciascia, Caltanisetta.)
Au moment où Benedetto vient serrer la main de Bush en faisant la morale à la terre entière au nom de la Charité Universelle qu'il ne pratique pas lui-même en ses palais dorés, bas de soie et soutane immaculée, loin des miasmes et des crachats, relire Pasolini – entendre son cri – est une consolation.
Adulte ? Jamais – jamais, comme l'existence
qui ne mûrit pas – reste toujours verte
de jour splendide en jour splendide.
(Dal Diario, Sciascia, Caltanisetta.)
Au moment où Benedetto vient serrer la main de Bush en faisant la morale à la terre entière au nom de la Charité Universelle qu'il ne pratique pas lui-même en ses palais dorés, bas de soie et soutane immaculée, loin des miasmes et des crachats, relire Pasolini – entendre son cri – est une consolation.
À un pape
Quelques jours avant que tu ne mourusses, la mort
avait jeté les yeux sur quelqu'un de ton âge :
à vingt ans tu étudiais, il était manœuvre,
toi, noble, riche, et lui, garnement plébéien :
mais les mêmes jours ont doré tout autour de vous
la Rome antique, lui redonnant tant de jeunesse.
J'ai vu sa dépouille, pauvre Zucchetto.
Il rôdait la nuit, saoul, autour des Marchés,
et un tram, qui venait de Saint-Paul, l'a renversé
et traîné quelque temps sur les rails parmi les platanes :
on l'a laissé là quelques heures, sous les roues :
quelques curieux se réunirent tout autour pour le regarder
en silence : il était tard, les passants étaient rares.
L'un de ces hommes qui te doivent l'existence,
un vieux policier, débraillé comme un gueux,
criait, si l'on approchait trop : « Foutez le camp ! »
Puis l'ambulance d'un hôpital vint l'emporter ;
les gens s'en allèrent, il ne resta que quelques lambeaux
çà et là,
et la patronne d'un café ouvert la nuit, un peu plus loin,
qui le connaissait bien, dit à quelqu'un qui arrivait
que Zucchetto était passé sous un tram, que c'était fini.
Tu mourus quelques jours plus tard : Zucchetto était membre
de ton grand troupeau apostolique et humain,
un pauvre ivrogne, sans famille et sans toit,
qui rôdait la nuit, vivant comme il pouvait.
Tu en ignorais tout : et tu ignorais tout, de même,
des milliers d'autres christs comme lui.
Peut-être est-il cruel de te demander pourquoi
les gens comme Zucchetto étaient indignes de ton amour.
Il y a des lieux infâmes, où mères et enfants
vivent depuis toujours dans la poussière et dans la boue d'un autre âge.
Pas très loin de toi où tu as vécu,
en vue de la belle coupole de Saint-Pierre,
il y a l'un de ces endroits, le Jasmin…
Un mont qu'entaille à mi-flanc une carrière, et, au-dessous,
entre une mare et une rangée de nouveaux immeubles,
un tas de misérables abris, non point maisons, mais porcheries.
Il eût suffi d'un geste de ta part, d'un mot
pour que ceux de tes fils qui vivaient là trouvent un toit :
tu n'as pas fait un geste, et tu n'as soufflé mot.
Il n'était pourtant pas question d'absoudre Marx ! Une vague
immense, qui rejaillit sur des milliers d'années de vie,
te séparait de lui, de sa religion :
mais ta religion ignore-t-elle la pitié ?
Des milliers d'hommes, lors de ton pontificat,
ont vécu sous tes yeux dans le fumier, les porcheries.
Tu savais que pécher n'est pas faire le mal :
ne point faire le bien, voilà le vrai péché.
Que de bien tu aurais pu faire ! Et tu ne l'as point fait :
il n'y a pas plus grand pécheur que toi.
Extrait de
Humilié et offensé
Epigrammes
(1958)