Je veux un ciel riant et pur
Réfléchi par un lac limpide,
Je veux un beau soleil qui luise dans l'azur,
Sans que jamais brouillard, vapeur, nuage obscur
Ne voilent son orbe splendide ;

Et pour bondir sous moi, je veux un cheval blanc,
Enfant léger de l'Arabie,
À la crinière longue, à l'œil étincelant,
Et, comme l'hippogriffe, en une heure volant
De la Norvège à la Nubie.

Je veux un kiosque rouge, aux minarets dorés,
Aux minces colonnades d'albâtre,
Aux fantasques arceaux, d'œufs pendants décorés,
Aux murs de mosaïque, aux vitraux colorés
Par où glisse un jour bleuâtre ;

Et quand il fera chaud, je veux un bois mouvant
De sycomores et d'yeuses,
Qui me suive partout au souffle d'un doux vent,
Comme un grand éventail sans cesse soulevant
Ses masses de feuilles soyeuses.

Je veux une tartane avec ses matelots,
Ses cordages, ses blanches voiles
Et son corset de cuivre où se brisent les flots,
Qui me berce le long de verdoyants îlots
Aux molles lueurs des étoiles.


Théophile Gautier (1811-1872)
Émaux et camées