CURE DE POÉSIETHÉRAPIE (20ème leçon)
Par Michel Bellin le vendredi 28 décembre 2007, 11:00 - Lien permanent
Depuis le 3 août dernier, avant chaque week-end et pour une quarantaine de rendez-vous hebdomadaires (si Pouet-Pouet me prête vie !) je propose à mes aficionados une cure de POÉSIETHÉRAPIE selon les recettes éprouvées de Jean-Joseph JULAUD. Un expert ! De quoi aller mieux tout en découvrant ou redécouvrant les plus belles pages de notre Littérature, émollientes ou roboratives suivant le cas. L'idéal – outre les bienfaits pour le mal concerné (migraine, mélancolie, éjaculation précoce, coliques néphrétiques, constipation, insomnie… mal d'amour !), serait d'apprendre par cœur chaque texte puisque la mémoire est un muscle bien trop négligé.
Fin d'année : peut-être pour certains l'heure des bilans et des désillusions… Les autres friment et s'esbaubissent, à Louxor ou ailleurs ! Avouons-le : chaque année qui se termine n'en a-t-elle pas rajouté une couche de ces rêves avortés, de ces passions stériles, de ces illusions perdues…
et n'est-ce pas ce poids de nostalgie et d'impuissance un peu rance qui courbe nos épaules, hiver après hiver, et alourdit nos pas ?
Help, la poésie !
Fin d'année : peut-être pour certains l'heure des bilans et des désillusions… Les autres friment et s'esbaubissent, à Louxor ou ailleurs ! Avouons-le : chaque année qui se termine n'en a-t-elle pas rajouté une couche de ces rêves avortés, de ces passions stériles, de ces illusions perdues…
et n'est-ce pas ce poids de nostalgie et d'impuissance un peu rance qui courbe nos épaules, hiver après hiver, et alourdit nos pas ?
Help, la poésie !
20 – CONTRE LES ILLUSIONS
Vous vouliez être pilote de chasse, vous êtes chauffeur de poids lourd. Vous vouliez défiler pour Dior, vous épuisez votre corps en repassant au pressing, en faisant du facing au supermarché.
Vous aviez pour Hugo, pour Voltaire et Rousseau, la considération d'un génie en puissance : vous alliez faire mieux qu'eux. Et c'est avec condescendance que vous lûtes les Contemplations, Micromégas, les Confessions.
Hélas, depuis vingt ans, vous proposez aux éditeurs des élégies, des odes, des poèmes en pleurs, de gros romans pleins de douleurs. Ils ne les aiment pas, et puis vous les renvoient, à vos frais, au bout d'un mois.
Vous vouliez… vous pensiez… vous croyiez… il y en avait des rêves dans vos vingt ans d'hier ! Ils sont toujours là, tous les matins, en demi-cercle, aux premiers plans de la mémoire. Et ils vous demandent des comptes. Et vous baissez les yeux. Vous murmurez : « Vous le savez bien, je n'ai pas pu faire mieux. »
Vous sortez. Tout va bien : l'averse noie vos joues. Dans l'autobus qui vient là-bas, en trombe, on confondra la pluie et les larmes du ciel.
Face à ces illusions qui ont la vie dure, deux solutions sont possibles. Une bonne et une mauvaise. Commençons par la mauvaise :
CONCLUSION
J'ai rêvé les amours divins,
L'ivresse des bras et des vins,
L'or, l'argent, les royaumes vains
Moi, dix-huit ans, Elle, seize ans.
Parmi les sentiers amusants
Nous irions sur nos alezans.
Il est loin le temps des aveux
Naïfs, des téméraires aveux !
Je n'ai d'argent qu'en mes cheveux.
Les âmes dont j'aurais besoin
Et les étoiles sont trop loin.
Je vais mourir saoul, dans un coin.
Charles CROS
Et c'est ce qu'il a fait, Charles Cros, à quarante-quatre ans. Il était bien avancé ! S'il avait à temps arrêté l'absinthe, il aurait pu tranquillement regretter son passé pendant des décennies, dire merci à la vie de sa longévité.
Mais voici, face aux illusions, l'autre solution. Et qui nous la propose ? C'est l'homme au charmant ramage, le copain de Rimbaud, celui de Charles Cros, comme lui au Procope, au bord de la syncope : Paul Verlaine.
Et que nous propose-t-il, ce « Pauvre Lélian » (anagramme fait à partir du nom de l'auteur, par l'auteur soi-même. Bravo, Paul !) : la résignation.
C'est bien aussi.
LA VIE HUMBLE…
La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles
Est une œuvre de choix qui veut beaucoup d'amour.
Rester gai quand le jour, triste, succède au jour,
Etre fort, et s'user en circonstances viles,
N'entendre, n'écouter aux bruits des grandes villes
Que l'appel, ô mon Dieu, des cloches dans la tour,
Et faire un de ces bruits soi-même, cela pour
L'accomplissement vil des taches puériles,
Dormir chez les pécheurs étant un pénitent,
N'aimer que le silence et converser pourtant,
Le temps si grand dans la patience si grande,
Le scrupule naïf aux repentirs têtus,
Et tous ces soins autour de ces pauvres vertus !
- Fi, dit l'Ange Gardien, de l'orgueil qui marchande !
Paul VERLAINE
Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001