19 – CONTRE LA DOULEUR

La douleur est une enfant terrible, ingouvernable, qui se promène en vous toute la vie.
Parfois, elle s'ensommeille pendant des mois, voire des années, puis elle s'éveille et s'installe dans la tête, quelques jours, pour une sarabande infernale. Elle s'évanouit. On la croit vaincue, morte, mais la voilà qui point dans les intestins où elle ondule, serpente et disparaît.
Un temps encore et la voilà triomphante dans la dent du fond, puis elle saute dans l'estomac, se niche dans le poumon, y laisse sa brûlure avant de vous sauter à la gorge.
Elle vous tient, elle ne vous lâche jamais. Alors, vous la traquez avec de l'acide acétylsalicylique, du paracétamol, des antidépresseurs, des somnifères, toutes ces diverses pilules aux couleurs si gaies.
Il serait si simple pourtant de l'apprivoiser, de l'adoucir, de la domestiquer, de l'asservir en quelque sorte.Le sonnet « Recueillement » de Charles Baudelaire permet de maîtriser n'importe quelle douleur, mieux même, de se la concilier, d'en faire sa compagne, sa moitié fidèle.
Ainsi, lorsqu'elle survient - qu'elle morde l'âme ou le corps- ce n'est plus une intruse, elle se glisse tranquillement dans les strophes, se dissémine dans les syllabes, se dissout. L'effervescence des mots la sublime.

RECUEILLEMENT

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

BAUDELAIRE

Notre conseil : Etant donné qu'on peut avoir besoin de ce sonnet n'importe quand, pour une douleur soudaine ou lancinante, il est préférable de l'appendre par cœur. Une lecture trois fois par jour pendant 15 jours permet de retenir le texte entier.

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001