« (…) Les mœurs ne dépendent pas de nous, elles tiennent à notre construction, à notre organisation. Ce qui dépend de nous, c'est de ne pas répandre notre venin au dehors, et que ce qui nous entoure, non seulement ne souffre pas, mais ne puisse pas même s'en apercevoir. Des vertus, on ne s'en fait pas, et on n'est pas plus le maître d'adopter dans ces choses-là tel ou tel goût, qu'on n'est maître d'adopter, en fait de système, telle ou telle opinion, que de se faire brun quand on est né roux. Voilà mon éternelle philosophie, et jamais je n'en sortirai.

Je respecte les gouts, les fantaisies. Quelque baroques qu'elles soient, je les trouve toujours respectables, et parce qu'on n'en est pas le maître, et parce que la plus singulière et la plus bizarre de toutes, bien analysée, remonte toujours à un principe de délicatesse. Je me charge de le prouver quand on voudra : vous savez que personne n'analyse les choses comme moi.

Ma façon de penser, dites-vous, ne peut être approuvée. Eh, que m'importe ! Bien fou est celui qui adopte une façon de penser pour les autres ! Ma façon de penser est le fruit de mes réflexions ; elle tient à mon existence, à mon organisation. Je ne suis pas le maître de la changer ; je le serais, que je ne le ferais pas. Cette façon de penser que vous blâmez fait l'unique consolation de ma vie ; elle allège toutes mes peines en prison, elle compose tous mes plaisirs dans le monde et j'y tiens plus qu'à la vie. Ce n'est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c'est celle des autres. »


Donatien Alphonse François de Sade

Lettre à Madame de Sade, novembre 1793 (depuis Charenton)