13 – CONTRE LA CRISE DE FOIE

Ah ! Le chocolat ! Drogue noire en plaquettes luisantes, enfant de la cabosse et du cacaoyer, diamant d'ébène ! En ta forme éphémère au bout des doigts fondante, l'élégante, pour te porter à ses lèvres, ploie son gracile col ; et le beau chapeau blanc qui retient ses cheveux dégage alors ses yeux, grands gourmands qui vous voient, et vous prenez pour vous ce regard dévoreur, et la pulpe des lèvres a des reflets de rose. Et tout cela fait penser à des choses…
Le chocolat. Verlaine, pour les coquillages, de tel ou tel parla : celui-ci était pourpre, et cet autre plus pâle. Un autre contrefaisait la grâce de l'oreille à qui il destinait ses tercets nonpareils. Et celui-là encore imitait la nuque « courte et grasse » de la jeune fille sans doute un peu boulotte que, dans une grotte, il aima.
« Mais un, entre autres, me troubla », c'est la fin du poème. Y aurait-il trouvé un goût de chocolat ? On ne saura jamais.En tout cas, dès que l'on veut pour soi garder le précieux bien, on prévient les enfants : « Trop de chocolat, c'est la crise de foie ! » Et on se cache dans le secret de ses bras repliés, la tête en à-coups furtifs guettant par-dessus l'épaule, comme un chien malappris qui déguste son vol.
Autour du chocolat, il y a des agapes en tout genre : on boit de capiteux breuvages, on se gave de tout. Le lendemain, le foie se plaint. Et l'on se ment à soi en lui disant, à lui qui n'en croit rien : « J'ai mangé trop de chocolat ! » Pourquoi donc ce mensonge ? Et c'est bien fait pour vous s'il vous torture ainsi !
Vous attendez, n'est-ce pas, un remède, un poème pour sortir de souci, pour qu'en votre côté vienne l'ataraxie (encore chercher dans le dictionnaire, c'est fatigant ! Bon, d'accord ! « Ataraxie » signifie, étymologiquement, « absence de troubles ». Vous êtes content ?).
Eh bien voilà : Jules Supervielle, le seigneur des pampas, eut un jour mal au foie, et vous savez quoi ? il lui parla ! On ne croirait pas, et pourtant si ! Un homme si… Eh bien non, il n'y a pas qu'à l'âme que les poètes ont mal : si leurs abats les titillent et s'ils en dégobillent, ils les tancent alors en langage trivial.
Excité tout à l'heure d'un désir curieux, vous avez souhaité lire le poème de Verlaine, mais c'est tellement bien rangé chez vous que vous ne le retrouvez pas. Eh bien, le voilà, avant celui où Supervielle s'adresse à son foie.

LES COQUILLAGES

Chaque coquillage incrusté
Dans la grotte où nous nous aimâmes
A sa particularité.

L'un a la pourpre de nos âmes
Dérobée au sang de nos cœurs
Quand je brûle et que tu t'enflammes ;

Cet autre affecte tes langueurs
Et tes pâleurs alors que, lasse,
Tu m'en veux de mes yeux moqueurs ;

Celui-ci contrefait la grâce
De ton oreille, et celui-là
Ta nuque rose, courte et grasse ;
Mais un, entre autres, me troubla.


Paul VERLAINE


À MON FOIE

Je ne sais pas à quoi tu penses,
Dis-moi ce que tu manigances,
Nous avons vécu jusqu'iciSans nous transmettre nos soucis
Nous deux qui jamais ne nous vîmes,
L'un pour l'autre des anonymes.
Pourquoi soudain tu m'indisposes ?
T'ai-je froissé en quelque chose ?
Exprime-toi donc sans douleur,
Je comprends bien mieux la douceur.

Jules SUPERVIELLE

Notre conseil : Vous pouvez ainsi parler à tous les organes qui sont à la portée de votre regard : votre estomac, votre intestin, votre vésicule… Un peu plus bas, un peu plus loin, votre voix porte moins, ce à quoi vous parlez – si vous savez y faire – dressera bien l'oreille.


Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001