11 – CONTRE LA MIGRAINE

Une migraine d'homme, c'est sérieux, c'est silencieux ; tout juste si ça plisse le front lorsque le bruit des voix et des moteurs dans la rue aiguise les couteaux qui traversent le cerveau.Une migraine d'homme, c'est digne et crédible. Ca ne survient pas n'importe comment pour un oui pour un non, ça s'élabore au fil des jours soucieux, parce que l'homme veut toujours faire mieux, et il s'y donne à fond, le pauvre vieux !
Jamais il ne se plaint, ou si peu. Et si son partenaire l'invite à se défaire de quelque hésitation dans l'alcôve secrète, si, ensuite, il l'engage à l'action dont il n'a nul envie vu qu'il est abruti par la céphalée, il ne dit rien, il s'exécute.
Car l'homme est l'exemplaire abnégation quand il s'agit d'aller au but, à l'écoute qu'il est de celui ou celle qui parfois change, et dont il apprécie les mutations félines.
Une migraine de femme c'est autre chose. C'est tapi out le jour, toute la nuit quelque part, on ne sait où, c'est invisible, et en même temps, dès qu'elle s'en plaint, c'est transparent.Pour la plupart, cela commence dès le matin. Elles n'ont jamais appris à calculer, en cent leçons, comment fuir avant certaines obligations.
En attendant que le temps se dévide, elles s'en tirent, les vilaines, en disant : « J'ai la migraine ! »Et puis, c'est dans la journée : exceptionnellement, le président content rentre déjeuner, et la secrétaire l'ayant félicité pour la couleur de sa chemise, le voilà, tout en joie, qui propose des choses, juste un apéritif.
Eh non ! Même si elle sait qu'il y a là comme une entorse à ses devoirs de Première Dame de France, et que ces luxations répétées mènent à la fêlure, elle allègue : « Non, Nico, pas maintenant, car j'ai mal à la tête ».
C'est bête, mais ce n'est pas fini : car, le soir, rentre l'homme, tout marri du midi. Il se dit : « Nom de non, cette fois-ci, je le veux, mon déduit ! »
Il n'aura rien, car elle aime avant tout le romantisme. Elle en manque, et si elle prétexte encore une grosse migraine, c'est qu'elle aimerait s'entendre dire : « Oh, ma Cécilia adorée, comme tu me manques ! »
Une migraine de femme, finalement, ce n'est rien qu'un appel au secours, un langage codé, une forme d'amour lassé d'être frustré.
Que proposer alors, pour soigner tout cela ? Encore un Baudelaire ? Pourquoi pas.
Il en est un très beau qui invite au voyage, distrait des soucis d'homme, fait éclater la cage où se morfond la femme, traversée elle et lui de migraine au logis, langage dont vous êtes à présent averti.

L'INVITATION AU VOYAGE

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D'aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer à mourir
U pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux
Brillant à travers leurs larmes.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Des meubles luisants
Polis par les ans,
Décoreraient notre chambre ;
Les plus rares fleurs
Mêlant leurs odeurs
Aux vagues senteurs de l'ambre,
Les riches plafonds,
La splendeur orientale
Tout y parlerait
A l'âme en secret
Sa douce langue natale.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.

Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l'humeur est vagabonde ;
C'est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu'ils viennent au bout du monde.
Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D'hyacinthe et d'or ;
Le monde s'endort
Dans une chaude lumière.

Là, tout n'est qu'ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.


Charles BAUDELAIRE

Post-scriptum : « Ces crampes vous font-elles bouder ? » Non, j'espère que votre céphalée n'est point trop sévère. Ci après, quelques occurrences dans les opus de Bellinus, avec en prime la ci-devant contrepèterie.
Bon week-end !


« La chair est faible, l'Esprit est prompt. Dieu seul ! Elle vivait languissante en sa vallée de larmes. Stoïque, pieuse, sainte. Nimbée de ses migraines. » (LE MESSAGER)

« J'ai repensé à Mère, à ses dévotions au-dessus de ma tête lors du petit déjeuner. Evidemment, le texte d'Arthur n'a rien à voir avec elle, car sa religion n'est ni gourmée ni fanatique. Mère n'est pas même migraineuse, trop femme de tête pour cela ! » (CET ETE PLEIN DE FLEURS)

« Entortillé dans mon drap, dérisoire armure, je peinais à m'endormir. Le sommeil s'abattit enfin mais il fut lourd et agité et ce matin au réveil, j'ai été vaseux et tout somnolent, la tête ceinte d'une horrible migraine. » (Idem)

« Aujourd'hui fut le dernier passé à St Loup. Au lever, ma première compagne fut ma migraine, fidèle au poste. Sans doute avais-je lu trop tard et trop longtemps. Edgard Poe est un auteur vraiment ensorcelant car, lorsque les aventures fantastiques d'Arthur Gordon Pym vous empoignent, elles ne vous lâchent plus ! » (Idem)

« Quant à la température, elle ne s'améliore guère. Je suis à nouveau pris par mon rhume et voici que mes migraines rappliquent. Non, la vie n'est pas un conte de fée ! » (Idem)

« Sitôt arrivé, je voulais me replonger dans mon cher Stevenson, mais beaucoup de monde se pressait boulevard Pereire, tante Zette et les gosses ainsi que ce raseur de Michel « trop bien dressé » qui m'insupporte. J'ai prétexté ma migraine des grands jours et me suis exilé dans ma chambre ». (Idem)

« Pour moi, cela faisait deux nuits blanches en cinq jours, après les détestables nuits de mon examen à Paris et il m'eût fallu toute une journée de sieste pour me remettre totalement, ce qui fut impossible à cause de la migraine et de mes interminables séances d'inhalation. » (Idem)

« Je me suis couché hier soir avec de nouveau une migraine carabinée. Après le rhume, c'était le bouquet. Nuit atroce ! Ce matin, c'est un peu moins douloureux. » (Idem)« Juste un mot final pour fermer ce chapitre typique du hors-sujet le plus passionnant : j'ai été juste une fois seulement deux heures sur son voilier sportif, mais plus jamais, à cause du mal de mère douloureux et de ma migraine de maman aussi puissance 10 que je me souviens plus même de rien ni où de notre navigation d'essai ! » (IESCHOUA MON AMOUR)

°« Mais j'ai trop mal en fait, j'en ai trop gros sur la patate depuis. C'était le mot de maman à cause de tous ses problèmes, elle serrait les dents et ouvrait les vannes pour se soulager, toute froide, toute jaune à cause de ses crises de foie que j'ai hérité en plus. » (IESCHOUA MON AMOUR)°