L’OPÉRA ou LA DÉFAITE DES FEMMES
Par Michel Bellin le lundi 17 septembre 2007, 09:06 - Lien permanent
Une femme extrême, au destin paradoxal.
Une grosse fille noiraude et gauche qui se transforme soudain en diva sculpturale.
Une soprano atypique, qui renouvelle les règles parfois archaïques de l'opéra, une insoumise à la fois sublime mais fragile à qui son public pardonne tout car elle possède la grâce.
Une épouse modèle qui se lance dans une aventure passionnée, scandaleuse, avec un vieux milliardaire marié, et devient reine de la jet-set.
Une amante trahie, qui en perd son courage, ses cordes vocales et en meurt le 16 septembre 1977.
La Callas, une femme…
vaincue par son art.
Une grosse fille noiraude et gauche qui se transforme soudain en diva sculpturale.
Une soprano atypique, qui renouvelle les règles parfois archaïques de l'opéra, une insoumise à la fois sublime mais fragile à qui son public pardonne tout car elle possède la grâce.
Une épouse modèle qui se lance dans une aventure passionnée, scandaleuse, avec un vieux milliardaire marié, et devient reine de la jet-set.
Une amante trahie, qui en perd son courage, ses cordes vocales et en meurt le 16 septembre 1977.
La Callas, une femme…
vaincue par son art.
Si donner des chiffres, s'intéresser aux records, - manie contemporaine – n'avance guère, cela peut néanmoins fixer les idées. Permettre de mesurer – surtout si l'on est du métier – l'ampleur de la performance.
Maria Callas a tenu le rôle-titre de quarante opéras différents, autrement dit il lui a fallu mémoriser quarante grands rôles, paroles et musique. Quarante états d'âme différents à endosser, parfois deux, trois dans la même semaine. Imagine-t-on un acteur jouant Feydeau, Racine, Shakespeare en alternance rapprochée ? La Callas s'y est affrontée, dans les années cinquante, et l'a réussi.Quelques-uns de ses rôles étaient ses rôles fétiches : ceux que lui réclamaient constamment les plus grands opéras du monde, car c'était aussi les favoris du public. Ainsi elle aurait joué et chanté quatre-vingt quatre fois Norma, cinquante huit fois la Traviata, quarante-trois la Tosca, trente et une fois Médée, autant Aïda…
Cette imprégnation n'a pas été sans conséquence sur sa façon de se comporter hors la scène et, fût-ce inconsciemment, d'envisager la vie : un enfer de désolation pour les femmes…Ce n'est pas moi qui l'ai remarqué, c'est Catherine Clément, normalienne, agrégée de philosophie, écrivain reconnu, qui a entrepris, cas par cas, l'étude de ce que convoient d'une manière impérieuse et répétitive les livrets d'opéra. Cela donna un beau livre, aujourd'hui épuisé, L'Opéra ou la défaite des femmes, inspiré à la fois par l'amour du bel canto, sa tendresse pour les femmes et étayé par l'indignation du sort qui leur est réservé à la scène comme ailleurs.Prenant en compte une cinquantaine d'œuvres, l'auteur nous fait toucher du doigt le fait troublant que chacun de ces « grands airs » - sauf un ou deux – se termine par la mort de l'héroïne, suicide, assassinat.
Ce qui autorise à dire que toute sa vie de chanteuse, depuis ses seize ans, Maria a interprété, en y mettant l'intensité de vérité qui la caractérisait, sa propre condamnation à mort.
On rapporte qu'au cours du tournage de Médée, en Grèce, pendant l'été 1969, une gitane consultée et qui se refusait à lui prédire sa destinée, finit par lui lâcher : « Vous mourrez jeune et vous ne souffrirez pas… » Ce qui frappa beaucoup Maria. Reste qu'elle avait déjà vécu par avance des centaines de fois sa propre agonie.
Mort artistique, en grand costume, mort publique, mort applaudie, avec rappels : « Encore, s'il vous plaît, encore, mourez encore une fois pour nous – devant nous ! »
Dalida chantait qu'elle voulait mourir en scène, Molière l'a fait, Maria l'a mimé à la perfection…Et lorsqu'elle a cessé de chanter, à partir de son dernier récital donné au Japon en 1976, recluse, elle passait sans cesse ses grands enregistrements sur son électrophone, s'écoutant mourir… Cruauté infinie que cette répétition de ce qui ne pouvait manquer d'advenir.
Mais lorsqu'elle est morte « pour de vrai », comme disent les enfants, il semble, d'après le témoignage de Bruna Lupoli, sa camériste, qu'elle ne se soit pas vue partir : se sentant mieux, après une faiblesse, elle s'est levée pour aller dans sa salle de bains, la pièce de son appartement qu'elle affectionnait particulièrement, puis s'y est effondrée. On peut espérer qu'elle éprouva comme un malaise, l'un de ces évanouissements dont elle était coutumière – elle souffrait d'une tension par moments très basse – et serait alors partie sans cri, sans bruit, sans « tambour ni trompette »…
Et sans applaudissements, cette fois.
Madeleine Chapsal, Callas l'extrême, Michel Lafon, 2002