« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas. » Cette prophétie qui profita de la faiblesse des cordes vocales de Malraux pour s'échapper en douce, plane maintenant comme une soutane noire et menaçante sur le début du troisième millénaire.

Et le domaine spirituel ne cessant de perdre du terrain, on est saisi d'effroi en pensant que, si Malraux a dit vrai, on n'aura pas de XXIe siècle, on commencera directement le XXIIe, comme ça, sans rien savoir de ce qui aurait pu se passer, ni quelles nouveautés ou quels événements on a ratés : la Nitendo 7,65 magnum qui tue en vrai, le grand concert des 90 ans de Johnny Hallyday au Foyer des Aînés, la 18 000e émission de Thalassa, toujours encensée par Télérama.

C'est triste. Aussi, afin d'éviter qu'un siècle si prometteur nous file sous le nez, nous avons décidé de proclamer ceci : « Le XXIe siècle sera poétique ou ne sera pas. » Ouf ! Nous sommes sauvés !Car, à l'évidence, la poésie est bien vivante et se prépare à traverser le millénaire dans son petit radeau qui berce les mots et qui n'a peur de rien. Les raz de marée, les vagues et les vogues ne l'effraient pas, elle est toujours là ; et si tout devait être perdu, si la bombe majeure torpillait la planète, la poésie survivrait, c'est sûr. Elle irait s'installer, un peu plus haut, un peu plus loin, là où le temps s'appelle l'éternité.

Bien, cela dit, venons-en à la poésiethérapie. C'est vrai, on ne va pas faire le réveillon sur Malraux qui nous fiche le bourdon ! La thérapie par la poésie, c'est, enfin, la rupture d'une longue tradition d'introduction de toutes sortes de choses par les orifices disponibles, pour guérir le patient.Au temps de Molière, il y eut le clystère qui consistait à envoyer dans le derrière le contenu savonneux et fleuri d'une énorme seringue à l'embout adapté – avec nécessité pour qui l'administrait de se sauver vite fait. Puis il y eut les gouttes dans le nez, dans les oreilles. Et par la bouche enfin, il y eut l'huile de foie de morue et les antibiotiques dans le yaourt aux fraises, détournement sadique.

Aujourd'hui, fini la barbarie. Bonjour la poésie. Il suffit en effet de suivre les conseils d'un poésiethérapeute averti pour attaquer de front la maladie.

Le poésiethérapeute considère en effet qu'à chaque désordre physiologique ou psychologique correspond un poème dont la simple lecture atténue les symptômes ou les fait disparaître.Prenons un exemple : vous souffrez d'insomnies, vous êtes constipé et vos fréquentes sautes d'humeur contrarient la plupart des projets que votre partenaire voudrait mener à terme en votre compagnie, parce que tout seul, c'est moins rigolo.

Jusqu'à présent, vous consultiez un homéopathe, et, vu les résultats qu'il obtient, vous vous dites qu'avec un poésiethérapeute il serait plus facile encore d'avaler la pilule car, chez lui, elle est seulement métaphorique.

Donc, pour combattre vos malaises, il vous établira l'ordonnance suivante :

ORDONNANCE POÉSIETHÉRAPEUTHIQUE

Identification du praticien :
Jean-Joseph Julaud
Poésiethérapeute diplômé des facultés du rêve, du doute et de la beauté
Cyberconsultations : http://www.michel-bellin.fr/bellin/blog-officiel-michel-bellin/index.ph

1) Contre l'insomnie : un Corbière (non, pas le vin, le poète !) chaque soir avant d'aller dormir.
2) Contre la constipation : des « Quatrains » de Péguy, une fois par jour, à lire dans les lieux qui conviennent.
3) Contre les inégalités d'humeur : « Baise m'encor » de louise Labé, matin, midi et soir, pendant la nuit aussi, si le Corbière n'a pas fait d'effet.

Mais, si adaptée soit-elle à vos trois dysfonctionnements, cette prescription sera complètement inefficace si vous ne lui adjoignez l'accompagnement prévu, spécialement conçu pour vous conduire au charme des vers.

En effet, si vous entrez directement dans l'œuvre, un arrière goût de cartable, de poussière de craie et de contrôle sur table, associera encore votre perception de la beauté à votre ancien statut d'ilote des salles de classe, d'esclave de pédagogues, de bête à concours pour dresseur lugubre.

L'accompagnement qui court-circuite ce genre de remugle de la mémoire précède chaque poème ; il s'agit avant tout de partager avec vous le rire et l'émotion, l'humour et la tendresse : cela guérit de tout.

Signé J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001

LA SEMAINE PROCHAINE : 1ère séance de poésiethérapie avec Verlaine « contre les piqûres d'insectes » (c'est de saison !)