BANNIÈRES ET OSTENSOIRS

La Gay Pride est devenue le zoo préféré
des adeptes du folklore homosexuel, sans moi


Cette année encore, je ne participe plus à la Gay Pride rebaptisée « Marche des fiertés ». J'en suis non seulement soulagé, mais très satisfait car ce retrait volontaire me restitue l'estime d'être moi-même comme je l'entends désormais : sans tapage, sans marquage, de nouveau à la marge.
Parlons franc (en employant le « nous », je tente de me solidariser encore) : que gagnons-nous à devenir chaque solstice d'été le zoo préféré des médias et les histrions de notre propre folklorisation corporatiste ? En serons-nous demain plus crédibles ? Plus matures ? Plus amicaux entre nous ? Plus efficaces pour tant d'autres militances bien plus urgentes ? Notre identité reste la « différence », le décalage, l'écart. Quelque part de doux barbares, des empêcheurs d'aimer et de procréer en rond. C'est le secret de chacun, son originalité intime et nul n'a besoin pour s'en convaincre (ou se rassurer) de pedigree pseudo médical et de parade identitaire.
Certes, davantage de droits, plus d'égalité, moins de discrimination, le mariage en promo et l'adoption en prime, je suis évidemment d'accord… Mais dans les coulisses et au quotidien, pas sur les tréteaux. Loin des démonstrations et des récupérations tous azimuts, surtout politiciennes. Car la liturgie de « notre » fête nationale, la mise en scène hystérique de « notre » credo ne sont plus supportables. La gay pride n'est-elle pas à la gaytitude ce que la pompe romaine est à la foi nue ? Aux confins de la pornographie. Ni plus ni moins.
D'autant que les dégâts collatéraux sont immenses : en prêchant, les pédés se ringardisent. En s'exhibant, ils se parodient. En s'affichant, ils s'exposent. S'il existe une « culture homosexuelle » – ce dont je doute fort – c'est en tout cas ce jour-là, en soulevant le voile, qu'elle se livre sous son vrai jour : une subculture érotique qui a l'audace de quitter ses chapelles clandestines pour s'afficher dans une foire commerciale ambulante. Belle épiphanie !
Je propose deux remèdes drastiques : la suppression d'une manifestation devenue aussi surannée et inintelligible que les Fêtes-Dieu d'antan. Et l'abandon des néologismes aussi inappropriés que datés. Oui - latinisme ou anglicisme - basta, les mots ! Hétérosexuel, homosexuel, bisexuel, métrosexuel, übersexuel… qu'on déclare ces vocables vieillots, usés, grotesques, aussi flapis et aussi inutiles que des capotes percées. « Hors-je », les mots ! Que le « sexuel » évacue l'identité personnelle comme la mer sculpte le rivage en se retirant ; qu'il se fasse détumescent dans les amphigouriques et péremptoires dogmes de la Psychanalyse (d'autant que bon nombre de psy acceptent enfin de revoir leur copie). Dans la foule – plus grise que rose – que chacun puisse désormais marcher incognito vers sa propre lumière.
A bientôt soixante ans, fidèle au même homme depuis plusieurs années après avoir longtemps mijoté (plutôt savoureusement) dans une union classique, sans revendiquer dorénavant ni « couple » ni « pacs » ni « mariage » ni « croyance » ni « militance »… je n'aspire plus à cesser d'être « hétéro » pour devenir « homo », encore moins à apparaître tel au milieu de congénères bramant leur rédemption urbi et orbi. Car - qu'on soit gay, trans ou hétéronormé, black ou jaune, jeune ou vieux, femelle ou mâle (ou fifty-fifty) - la vraie question est bien celle-ci : comment parvenir à se sculpter, à se créer et à se recréer sans cesse, à devenir soi-même quitte à réfuter, dès lors qu'elle devient aliénante par conformisme, toute identification sexuelle, religieuse, politique, tribale etc. … et si possible sans avoir à subir rituellement de « vieilles victoires pourries » (Sartre) !
Parvenir enfin à l'indifférence. Consentir à l'insignifiance. Gommer l'appartenance. Ce pour quoi, émasculant les mots imbéciles et fuyant les flonflons, je hurle au silence comme un bâtard galeux : « NÉ-GA-TI-VONS ET RENTRONS CHEZ NOUS ! »

Dans Le Monde du samedi 30 juin 2007 (page Débats)