« Il y a quelque chose qui coince. Mais quoi ? Pourquoi ? C'est une question qui porte en elle, au-delà de la politique, la clé du prochain scrutin présidentiel. Quelque chose qui tient de l'irrationnel, qui sourd de lui sans qu'il parvienne à le dominer, qui lui est consubstantiel. Cette incapacité à maîtriser les signes d'une irrépressible impatience, d'une permanente insatisfaction, le tient éloigné de l'image rassurante et paternelle (maternelle ?) à laquelle les Français ont presque toujours, dans l'histoire, choisi de confier leur destin – de Gaulle en père sévère, Mitterrand en paradoxal « Tonton », et même Chirac en chef de tablée bonhomme.
Malgré ses efforts de vocabulaire (l'étrange « rupture tranquille » ayant succédé dans son programme à la « rupture » pure et simple), une gestuelle qu'il se contraint à mesurer, Nicolas Sarkozy n'arrive pas à maîtriser les signes de l'ambition qui le dévore. Cette exaspération semble le dépasser dès qu'un obstacle paraît se dresser devant l'objectif suprême, ressort vital et (trop) visible de son existence. On sent qu'à quelques semaines du but, et bien que favori de la course, un spectre le hante : celui de voir s'échapper in extremis un destin qu'il a mis, sans repos, tant d'années, tant de soin et tant d'énergie à bâtir.
A la différence d'un Mitterrand qui savait, au plus fort des tempêtes, cacher les secrets de son âme derrière la sagesse d'un sphinx et les plus sombres calculs en jouant les faux naïfs, il fait preuve de réactions compulsives difficilement explicables pour un homme dans sa condition. On sait, par exemple, ses absurdes et inquiétantes colères contre les journaux qui ne lui seraient pas dévoués. Contre Libération – dont on connaît les difficultés – qu'il menace dans son financement pour avoir fait sa « une » sur l'histoire de son appartement de Neuilly. Contre les patrons de France 3, à qui il promet la porte parce qu'il n'est pas reçu avec le décorum nécessaire. Quelle force le saisit alors ? Quelle angoisse l'empêche de contenir les excès d'un tempérament qui ne fait plus songer, dans ce cas-là, qu'aux colères d'un gamin capricieux ?
Avec le talent du caricaturiste, Jamel Debbouze l'a comparé à Joe Dalton. Le plus petit et le plus teigneux des frères est aussi le plus intelligent. Mais il vit dans l'éternelle frustration de voir ses plans les plus subtils mis à bas par l'indécrottable bêtise de sa lamentable fratrie – et le sang-froid de Lucky Luke. Certes l'expérience, et la sienne propre, lui a appris la prudence et la nécessité de faire confiance à très peu, condition de base pour celui qui a fait du pouvoir l'objet d'une quête existentielle. Il a préféré placer une partie de son fatum entre les mains de son épouse qu'il a tant bataillé pour reconquérir et qui le rassure. Le couple étrange qui part à la conquête de l'Elysée, de la France, est devenu aussi opaque qu'il fut naguère trop exposé. Il porte également en lui bien des mystères. »

Le syndrome Dalton (ou comment s'en débarrasser) par Jacques BUOB [contrepoint] in LE MONDE 2 du 7 AVRIL 2007