« Entre Tsurukawa et moi tombaient droits les rais d'un soleil de plomb. Le visage jeune, huileux, tout luisant, chaque cil jetant, sous le soleil, une menue flamme d'or, les narines dilatées par la chaleur humide, Tsurukawa attendait que j'eusse fini de parler.
A peine eus-je achevé que j'entrai dans une violente colère. Car depuis que nous nous connaissions, pas une seule fois il n'avait entrepris de me plaisanter sur mon bégaiement. Je le harcelai de « pourquoi ? » à ce sujet. Aux marques de sympathie en effet – ainsi que je l'ai si souvent expliqué – c'est de loin la moquerie et l'insulte que je préférais.
Un sourire d'ineffable gentillesse passa sur le visage de Tsurukawa. « Moi, je suis de ceux qui ne prêtent aucune attention à ce genre de choses », fit-il.
J'en demeurai stupide. Elevé dans l'âpre milieu paysan, je ne connaissais pas cette forme de gentillesse. Celle de Tsurukawa me faisait faire cette découverte que, retranché mon bégaiement, je n'en pouvais pas moins rester Moi. Je savourai alors pleinement le bonheur, en quelque sorte, d'avoir été tout nu. Les yeux de Tsurukawa, avec leur ourlet de longs cils, expulsaient mon bégaiement pour n'accueillir que mon Moi pur. Jusque là, j'avais bizarrement cru que le mépris attaché à mon bégaiement entraînait, de soi seul, l'effacement de cette existence appelée Moi.… Je me sentis apaisé et heureux. Ce n'est pas merveille si je n'ai jamais pu oublier le Pavillon d'Or tel qu'il m'apparut alors. Passant devant le vieux portier qui faisait un somme, nous suivîmes rapidement le sentier, alors désert, qui longe le mur et le découvrîmes de face.
Je revois la scène comme si j'y étais. Nous restions là tous deux, au bord de l'étang, épaule contre épaule, avec nos chemises blanches et nos bandes molletières ; et devant nous, séparé de nous par rien, se dressait le Pavillon d'Or.
Dernier été… Dernières vacances d'été… Dernier jour de vacances… »

Yukio MISHIMA, Le Pavillon d'Or, trad. Marc Mécréant, folio, p. 83-84, éditions Gallimard