« Sous le regard de Dieu… tous les gosses sont si dociles, si photogéniques dans leurs habits de fête, si touchants dans leur application à bien croire, et les adultes (surtout les mâles !) si péremptoires : « Le Dieu de tes pères existe, mon fils, il te choisit, il t'exige, de toute ton âme, de toutes tes forces, de tout ton karma. » En regardant le premier volet du reportage de Serge Moati – aussi lyrique dans son commentaire que chatoyant dans ses crépuscules et ses robes safran – je n'ai eu d'yeux que pour ces millions de gosses embrigadés pour la bonne cause, rasés, déguisés, circoncis (en public, à 8 ans !), baptisés, barmitzés, bref, gavés de divinité depuis leur plus jeune âge et sous toutes les latitudes. Ainsi vont les choses depuis que le monde est monde et que l'humanité s'enorgueillit d'être humaine : sous le regard planétaire du Bon ( ?) Dieu, les traditions sont tenaces, les parents soumis, les théologiens imaginatifs, les rites pittoresques et parfois cruels, et les enfants toujours obéissants, appliqués, souriants, apparemment heureux d'entrer enfin dans le camp des grands, et pourtant encore fragiles, vulnérables, poignants comme des anges trop fardés. Que ce soit au nom de Jésus ou de Shiva, l'alignement apparent des esprits et la langue de buis des catéchismes m'ont semblé plus pervers que la docilité des corps ou la correction des postures. Et pourtant cette émission de Noël ne m'a pas paru tout à fait désespérante : au détour d'une image, très fugace, derrière un regard malicieux ou un aveu impertinent (« Moi, je suis parfait ! ») se cachait peut-être le diamant noir de la liberté et de la rébellion intérieures ? En tout cas, merci au réalisateur d'avoir affermi ma foi d'athée : pour m'aider à digérer sa pièce montée du 25 décembre, dégoulinante de superstitions bariolées et de liant syncrétique, pensant très fort à mes quatre jeunes enfants, je me suis murmuré à la fin de son film l'incantation salvifique : « Former les esprits sans les conformer, les enrichir sans les endoctriner, les armer sans les enrôler… leur donner le meilleur de soi sans attendre ce salaire qu'est la ressemblance » (Jean Rostand. »

Michel B.

P.S. Et que sont devenus, douze ans plus tard, tous ces enfants embrigadés, aujourd'hui de jeunes adultes… fervents… indifférents… apostats… peut-être terroristes ?