JOURNÉE NATIONALE DE L’ASPERGE
Par Michel Bellin le jeudi 29 mars 2007, 09:46 - Lien permanent
Hier, c'était « la Journée du Sommeil ». Avant-hier, « la journée de la Femme ». Sans parler du Patrimoine, des Lépreux, de l'Asthme, du jour sans voitures (22 septembre), de la journée mondiale du gymkhana (30 août) et surtout, surtout, la plus importante d'entre toutes ces festivités – que notre ex-ministre candidat vient d'évoquer longuement et avec un lyrisme appuyé lors de ses adieux aux CRS en larmes – « la journée internationale contre la brutalité policière » (15 mars). Bref, les mois se suivent, les journées thématiques se bousculent… Je me demande souvent quelle officine, relayée complaisamment par les médias, prescrit en France ce genre de commémorations fictives, au service de quels impératifs économiques ou éthiques.
Je propose que le 29 mars de chaque année devienne la Journée Nationale de l'Asperge. Désormais, chaque Française et chaque Français sera invité, tous les 29 mars, à déguster ce légume encore trop onéreux, à se mobiliser pour que sa consommation se démocratise, à célébrer ses vertus gustatives voire fantasmatiques en imaginant des initiatives citoyennes – par exemple proposer à son voisin de pallier un échange de recette-maison avec admiration du plus beau spécimen et dégustation réciproque comparative – à exhiber également un logo violacé à sa boutonnière ainsi que, sur son balcon, une botte géante en signe de mobilisation républicaine et de solidarité nationale.
Enfin, je recommande que la commémoration nationale de l'asperge soit placée sous le patronage de celui qui, après la madeleine (dont on pourrait créer la Journée Internationale en juin, sauf que le mois est déjà pris par les mères ou les grands-mères)… j'ai nommé Marcel Proust qui célébra en termes lyriques le parfum d'enfance de l'asperge et ses incandescences shakespeariennes.
Je propose que le 29 mars de chaque année devienne la Journée Nationale de l'Asperge. Désormais, chaque Française et chaque Français sera invité, tous les 29 mars, à déguster ce légume encore trop onéreux, à se mobiliser pour que sa consommation se démocratise, à célébrer ses vertus gustatives voire fantasmatiques en imaginant des initiatives citoyennes – par exemple proposer à son voisin de pallier un échange de recette-maison avec admiration du plus beau spécimen et dégustation réciproque comparative – à exhiber également un logo violacé à sa boutonnière ainsi que, sur son balcon, une botte géante en signe de mobilisation républicaine et de solidarité nationale.
Enfin, je recommande que la commémoration nationale de l'asperge soit placée sous le patronage de celui qui, après la madeleine (dont on pourrait créer la Journée Internationale en juin, sauf que le mois est déjà pris par les mères ou les grands-mères)… j'ai nommé Marcel Proust qui célébra en termes lyriques le parfum d'enfance de l'asperge et ses incandescences shakespeariennes.
« Mon ravissement était devant les asperges, trempées d'outre-mer et de rose et dont l'épi, finement pignoché de mauve et d'azur, se dégrade insensiblement jusqu'au pied – encore souillé pourtant du sol de leur plant – par des irisations qui ne sont pas de la terre. Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s'étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d'aurore, en ces ébauches d'arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j'en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »
Marcel Proust, Du côté de chez Swann, Gallimard, La Pléiade, 1968, page 121
En fait, c'est plus subtil que çà puisque, dès la page suivante, on apprend pourquoi le pauvre Marcel a été condamné à manger des asperges durant tout un été, une sordide histoire de jalousie ancillaire (chut ! suspense…). Il n'empêche, sacré Marcel ! ta prose musicale est un pur bonheur à l'apéritif ! Pas étonnant qu'au 19ème siècle les asperges étaient interdites dans les pensionnats. Si si, je n'invente rien… Non à cause de leur prix, mais parce que ce légume-plaisir risquait, disait-on à l'époque, de donner de mauvaises idées aux jeunes filles… Ah ! ce pur fantasme veiné de nacre et de violet… mais honni soit qui mâle y pense, n'est-ce pas ?
P.S. J'allais oublier... Vendredi, c'est "La nuit de la Chouette". Si les nuits s'y mettent aussi !!!