...cela ne sied pas. Surtout en public, surtout lorsqu'on n'a pas de filtre. Ni à Paris ni à Nantes. Pas plus devant Beaubourg que sur l'avenue Mozart ni au fond des faubourgs. On nique, mais on ne pète pas. On fornique , mais on ne forpète pas. Et si, malheureux mélomane, tu es surpris en flagrant délit d'éloquence rectale, où que ce soit, à table, à la gare, à la caisse de l'hyper, à l'église, devant le ministère de la Culture ou au Ministère de l'Intérieur, ou encore au lit – surtout au lit ! – c'est le déshonneur, l'infamie sur ton front, la confusion plus bas. Tu es socialement condamné et, même avec un bon avocat expert en us et coutumes, tu en prends pour perpète.

Il existe pourtant des civilisations très sophistiquées où l'on éructe bruyamment pour signifier qu'on a fort bien mangé, où l'homme épouse un autre homme pour dire qu'il est très amoureux et, last but not least, où l'on pète avec éclat pour proclamer qu'on est à l'aise. Mais chez nous, dans notre société judéo-chrétienne, on a le pet morose et la vesse traîtresse. J'emploie sciemment ici le mot « vesse », pour ne pas te choquer, mon lecteur, mon frère. Pas question d'enfiler comme des perles ces gros mots baveux joignant à la chose des syllabes honteuses, dans le genre louffes, vannes, pastilles, perlouses et autres pétarades.

Désormais – je l'ai lu récemment dans un dossier du Figaro Madame – même les mal voyants et les techniciennes de surface usent de métaphores et parlent très sérieusement de « phénomène de résonance sphinctérienne ». D'ailleurs, je ne sais vraiment pas pourquoi le Figaro Madame s'est penché sur ce sujet explosif. Les dames, c'est bien connu, surtout celles du 16ème arrondissement, n'ont pas de derrières. Des pare-chocs tant qu'on veut, des airs bag, mais pas de pots d'échappement. Les statistiques viennent d'ailleurs appuyer cette pudeur anale puisque, c'est démontré, les femmes pètent cinq fois moins que les hommes. Veux-tu des chiffres, pointilleux lecteur ? Tu les exiges et je t'ai promis une hymne aux chiffres. Donc, tu as raison, pas de lyrisme ici, pas d'effusion, des chiffres secs, des nombres qui crépitent. Tu peux prendre des notes, c'est fait pour ça et je suis incollable sur mes statistiques. Dans la rubrique « Pets quotidiens » : moyenne féminine : 3,28 pets. Moyenne masculine : 16,63. Les gays se situent entre les deux - 6,32 pour les passifs et 14,18 pour les actifs - si l'on admet avec Kinsey (1948) la ligne de démarcation traditionnelle (même si, c'est trop évident, elle est indue puisque « l'homosexualité » n'existe pas, juste un mot, une lubie lexicale !). Il reste que les hommes (toutes pratiques sexuelles confondues) sont nettement plus performants que les dames et qu'on leur doit les deux records enregistrés : 30 pets sonores à l'heure et 96 à la journée (Livre des Records 2002, au chapitre « Cris et chuchotements »). Une étude récente permet néanmoins de nuancer mon pessimisme par rapport à l'interdit et je ne puis taire ses conclusions : 50% des péteurs avouent ne se retenir dans aucune circonstance ni situation sociale. Dont mon pote, mon percepteur (surtout au mois de mars) et ma petite belle-sœur qui, comme chacun sait, est gay car, dans ma famille décomposée, mon demi-frère est masseur à temps plein et, si elle en avait, ma tante serait mon oncle. Quel guêpier ! Il n'empêche, tout le monde pète en chœur et partout, même si le Professeur Monestier a prouvé (enregistrements à l'appui) que les émetteurs de vents naturels obéissent à certains facteurs et ont leurs préférences : avec des amis du même sexe, quand ils sont seuls, lorsqu'ils déambulent ou juste avant de quitter une pièce tandis que 0,5% des péteurs sondés trouvent irrésistible de péter durant les enterrements. A ce sujet, la Chambre des Comptes a épinglé tout récemment dans son rapport annuel un certain nombre de tricheurs usant et abusant d'astuces plus ou moins illicites au regard du Droit français, et d'ailleurs dans un but tout à fait mesquin : « éloigner les soupçons » (Rapport de la Cour des Comptes 2004, pages 2405-2410). Par exemple, couvrir le chuintement du pet en toussant, masquer la détonation en se raclant bruyamment la gorge ou en simulant un éternuement ou bien, plus grave encore, accuser une tierce personne, le chat, le chien voire un enfant mineur.

Encore une précision, Nat, mais m'écoutes-tu vraiment ? Le sujet est très sérieux, pointu même, et exige toute ton attention. Je disais donc que la science de la Flatuologie est une discipline encore récente. Si le droit français est à la pointe de la recherche, jusqu'au milieu des années 70 les études historiques piétinaient. Peu de chercheurs réellement motivés et surtout peu de cobayes : accepter des capteurs dans le rectum ou passer à la « centrifugeuse » pour accélérer l'émission des gaz intestinaux paraissait une grave atteinte à la pudeur et à la dignité humaine. Aujourd'hui, surtout grâce aux recherches américaines, (menées avec diligence à Abou Ghraib, mais les conclusions sont sujettes à caution car les détenus sollicités pour l'enquête crevaient de pétoche et n'étaient pas librement volontaires), on sait qu'un pet s'échappe de l'anus à une vitesse comprise entre 0,1 et 1,1 mètre/seconde, soit 0,36 à 3,96 kilomètre/heure. Une particularité notable : outre les quatre gaz principaux, on a pu observer dans 30 à 35% de la population (surtout chez les terroristes ayant accepté les tests de Tsahal) la présence d'un cinquième gaz, le méthane, qui avec l'hydrogène rend les détonations inflammables (« blue angels »), parfois meurtrières dans les rangs de la Coalition : 12% des américains (et 24% des GI's présents en Irak) avouent avoir cédé à l'impulsion de mettre le feu à leurs vesses alors que 3% confessent s'être brûlés les fesses, tandis que seulement 7% des péteurs hexagonaux reconnaissent s'amuser à péter dans l'eau du bain et qu'un tiers de ceux-ci ont déjà tenté de récupérer le pet avec un verre à dents placé à l'envers au-dessus de la baignoire pour l'enflammer. Bref, Nat, je ne veux pas t'ensevelir sous les chiffres mais recentrer le débat avant d'en venir à l'enquête que je suis en train de mener depuis maintenant deux ans pour obtenir mon diplôme de Flatuologie de troisième cycle. Oui, je souhaite élever le débat, voire le purifier. Tu sais à quel point, comme pour la sexualité, l'inhibition sphinctérienne peut être pernicieuse et nuire au développement de l'enfant. La société est très peu permissive, l'Eglise catholique encore moins. A ce sujet, il me faut à présent narrer une aventure qui n'a fait que retarder ma libération personnelle. Dévoiler ici ce secret de famille contribue à le désamorcer et à faire avancer grandement la cause de la résilience.

Le souvenir remonte assez loin dans mon enfance, j'avais dans les 7-8 ans. A cette époque, on recevait le sacrement de confirmation très jeune. C'était, paraît-il, très important mais bénin : l'évêque nous faisait une onction de saint chrême sur le front et nous donnait une petite baffe paternelle. Une sorte d'adoubement, pour signifier notre croissance spirituelle : sous l'action du St Esprit, qui peut comme chacun sait soit souffler en rafales soit planer en ramier, nous devenions, nous, les mômes, des enfants de Dieu, nous naissions une seconde fois. On nous attribuait, outre un parrain et une marraine, un autre prénom. On choisit de m'appeler Alain. Ma marraine, chaisière à la cathédrale, aurait bien aimé m'appeler Marie-Ange (prémonition !). Dieu merci, mon jeune oncle avait décidé de m'appeler Alain et ce fut lui qui l'emporta. Il me faut glisser un mot sur ce cher parrain : il était coiffeur à Paris, un salon très chic rue Molitor, et le dimanche était membre de la J.P.D. (cette association sportive, dont je parlerai plus loin, était à cette époque encore clandestine.) Dans la famille, on faisait courir des rumeurs malveillantes à son sujet. Dommage, il est mort d'une sale et dégradante maladie dans les années 80. J'aimais beaucoup ce tonton qui allait devenir mon parrain. Oh ! J'en savais bien peu à son sujet, on ne se voyait guère. C'était un athlète en chambre. Il adorait suivre les compétitions de patinage artistique à la TSF. Lui-même avait tâté de la natation dans sa jeunesse, en amateur ; mais il avait, paraît-il, un bon coup de reins. Sa petite cousine de Pigalle avait voulu l'initier à la marelle, mais lui voulait devenir champion en milieu aqueux. Très vite, il opta pour le water-poulbot et il fit le plongeon ! Comme moi, mais bien plus jeune ; je suis, comme chacun sait, un gay retardataire. Bref, mon séduisant tonton n'avait alors d'yeux que pour Calmat, un patineur ténébreux surdoué. Rien qu'à entendre la voix du speaker, mon oncle imaginait tout : la flèche noire sur la glace, les figures, le crissement des patins, le fessier aérodynamique. Quelle classe ! Bref, en hommage à son idole, mon parrain de confirmation choisit de me donner comme second prénom : Alain.

Le jour dit, je me revois encore, ému, tremblant tandis que la longue cohorte des néophytes processionne jusqu'à l'autel où nous attendent l'évêque en jupon mauve et son vicaire général, une sorte d'adjudant osseux. Chaque enfant tenait entre ses doigts joints un papier blanc où était noté le prénom, en latin évidemment : Marcus, Petrus, Paulus, etc. L'auxiliaire prenait le feuillet, le tendait à la Proéminence (en odeur de sainteté mais souffrant d'hypoacousie) en énonçant à voix forte le prénom du jeune impétrant. Après quoi, le prélat signait le front virginal et administrait sa gentille tape apostolique. J'arrive, je m'agenouille, j'abaisse les paupières, à peine le temps de convoiter le gros bonbon violet offert sur la phalange. Je retiens mon souffle, le billet d'honneur tremble entre mes doigts. L'escogriffe s'en saisit et claironne avec solennité : « Alanus ! ». Aussitôt, le prélat sursaute, s'offusque, me foudroie du regard et déclare: « Non, non, au front comme tout le monde ! » Cette remontrance me glaça. Une fois de plus je m'étais singularisé, à mon cul défendant, et je ne pus plus péter dix jours durant, rien, pas le moindre zéphyr, pas le plus menu prout, de peur d'attirer sur moi les foudres épiscopales.

Aujourd'hui, je vais mieux, je pète allégrement, ou plutôt, nous pétons en chœur. Je dois d'ailleurs beaucoup à l'un de mes amants et il convient ici de lui rendre un hommage détonant. Il s'appelait… mais je t'en ai déjà parlé, Nat, n'est-ce pas ? Il s'appelait Gaspard. Il s'appelle toujours, mais nous nous sommes perdus d'odeur. Chez lui aucun complexe, nulle pudeur. Il avait le pet claironnant, tonitruant, surtout la nuit. A toute heure de la nuit. Il m'éveillait parfois et lorsque, mi-amusé mi-contrarié, je lui faisais quelque menu reproche, il partait d'un grand rire, ouvrait sa tabatière, canonnait de plus belle. Et nous riions ensemble, à en perdre le souffle ! Ses vesses roulaient sous le drap, s'échappaient en bulles, tornade de flatus multicolores, un grand Magic Circus qui irradiait nos rêves.

Je me souviens en particulier d'une nuit en Picardie – c'était l'été, au château du Broutel, fameux gîte du silence dans le Mercanterre où nous avions fait étape. Cette nuit-là, vers trois heures, Gaspard pétarada si dru qu'il détraqua l'éclairage du cabinet de toilette où il s'était isolé. Le Son et Lumière m'éveille soudain. C'est dantesque, époustouflant, plus infernal que la Soufrière et la montagne Pelée réunies : tandis que l'éruption fait rage, le néon vacille, s'éteint, se rallume, clignote à nouveau, ombre bleutée, éclairs zigzagants, puis de nouveau la nuit opaque… un silence oppressant jusqu'au moment terrible où les ultimes fusées, mettant le feu aux poudres, secouèrent tout l'hôtel d'un fracassant bouquet. Quelle déferlante ! Aux abris ! Accompagnant une D.C.A. rageuse - néon à nouveau sporadique - un chapelet de bombes, dru, serré, impitoyable. Puis, après quelques détonations isolées, le silence à nouveau. Indemne ? J'émerge du drap et, convulsé de rire, terrassé sur notre couche, j'avise mon Vulcain digne et impavide après l'armistice. « Tu ne dors pas ? » m'a-t-il lancé surpris en poussant la porte du cabinet. Ensuite… comment ne pas m'en souvenir ! dans le silence enfin restitué, pour fêter ma survie nous baisâmes à mort. Seuls nos halètements puis un long cri de bête. Assommé comme un taurillon après le rut, Gaspard sombra illico tandis que déjà je m'étais replongé dans l'opuscule fameux de Marcel Prout. L'heure étant désormais à la mélancolie puisque Chronos, après l'éclat d'Eros, n'avait pas été fracturé ni son vol suspendu, alors que mon jeune amant ronflait derechef, je le contemplais un brin attendri puis, sitôt le livre refermé, après m'être récité mentalement deux pages empléiadées de « A la recherche du vent perdu », alors que la phrase incrédule de mon artilleur, en pénétrant dans la chambre et dans les ondes du demi-sommeil où j'étais alors plongé, n'était parvenue jusqu'à ma conscience qu'en subissant cette déviation qui fait qu'au fond de l'eau un rayon paraît un soleil, de même qu'un moment auparavant le bruit de l'intermittence du néon, prenant au fond des abîmes une sonorité de tocsin, avait enfanté l'épisode de la déflagration sphinctérienne puis scandé mon ébranlement cérébral, caressant alors d'un index négligent la fesse bombée tout contre mon flanc droit, je recherchais dans sa moiteur galbée la sensation exacte avant de me dire que ce garçon trop expansif, décidément, n'était pas mon genre. Il n'empêche, cher Gaspard, je te dois une fière chandelle et je m'assume enfin, comme le grand Descartes qui déclara, lors de son intronisation à l'Académie : je pète donc je suis. Je m'en tiens à la formule, j'opte pour cette philosophie, en toute occasion, par temps sec et même l'automne, par les soirées humides quand le vent est foireux : sans mépris pour ce pet de maçon, avec légèreté, en haussant les épaules, comme on sèche une larme, je pète et j'essuie. Ergo sum ! Pas plus compliqué que cela, pas plus humiliant ! Le corps s'exprime, laissons-le chanter à sa guise en laissant grande ouverte l'outre d'Eole.

Cette liberté fondamentale me rappelle encore Isidore. Oui, je sais, toujours lui. Je n'y peux rien, Nat, sois patient : c'est mon addiction préférée. Chacun se souvient de la fin de ma nouvelle, combien mon jardinier fut éloquent ! Lui, il était réconcilié avec son corps, un grand maître-chanteur ! Tandis qu'il me défonçait le balafon au fond de la mangrove, il pétait, pétait, pétait allègrement. A l'unisson avec ses coups de boutoir. Et nous riions en chœur à en (re)perdre le souffle ! Et mon tambourinaire ne connaissait nul répit, double carburation, rugissements par-devant, explosions par derrière. Et sa bouche chantait, commentant le prodige : « A ita ti m'bi, mifelo tou n'ba, mifelo tou n'ba ! » Et nous roulions tous deux sous la tornade, enchevêtrés, vibrant sous le djembé qui martelait sa joie. Mon grand black varia ainsi longuement les plaisirs, modulant savamment et ses détonations et sa jubilation jusqu'à l'instant– et j'en fus pétrifié – où soudain jaillit le légendaire appel. Et dans la boutique torride, au cri de Weissmuller, rue Poussin au n°35, toute la brousse frémit, des buissons d'hibiscus à l'Asplénium nidus, jusque sous les folioles du Chamareops géant. Et mon Isidore-Johnny de commenter au moment du point d'orgue : « Toi, Jane ; moi, Tarzan. Y'a bon ! Nous, contents. Quand ki ki content, cul cul tam-tam ! » Encore aujourd'hui, sous ces combles surchauffées, j'en ai au creux des reins un vertige détonant. L'enfer vert avant l'enfer blanc.

Oui, car j'y reviens – Nat, tu me suis toujours ? Toujours attentif à ma démonstration ? – je peine, je te l'ai dit, je m'échine sur une étude fondamentale. Très ciblée, très pointue : ma thèse en Flatuologie. J'en ai déjà proposé un extrait au Monde qui, comme chaque fois, me l'a refusé (l'humour ravageur du Grand Quotidien est de notoriété internationale). Science et Avenir par contre s'est jeté sur l'essai comme sur du pain béni, ainsi que Géo, Tecknicart et même le Figaro Monsieur. Je viens d'avoir Macé-Scaron plus d'une heure au téléphone, conquis, enthousiaste : enfin la Flatuologie à la portée de toutes les bourses ! (avec double DVD prévu pour l'édition du week-end). Oui, oui, j'en suis tout excité, un scoop scientifique, une thèse révolutionnaire ! Et bienvenue à la spirale médiatique ! Car, je ne te redis pas, Nat, les semaines de labeur, les heures passées à la Bibliothèque Nationale, les tonnes de documents visionnés et jusqu'à une interview exclusive de Munroe Scott au fin fond du Népal. Des milliers de pages de notes (il faudra tout de même que je défragmente sans tarder mon disque dur, je vais finir par avoir de sérieux problèmes). Ce bagne pour une thèse en béton – LA thèse - qui s'intitulera : « Himalaya danger : High Altitude Flatus ». Le titre est provisoire car… Ça t'intéresse encore ? Tu me suis, j'espère. (N'oublie pas ce qui était convenu entre nous, tant par dérision que par désespoir : jouer le jeu, faire comme si, encore et encore…). Oui, nous en sommes bien d'accord : même si chaque détail est ici véridique, historique, scientifique… notre pochade est un formidable bluff et nous sommes, toi et moi, les rois de la farce, tout à la fois paons, dindons, coquelets, oies (plus très blanches !), rien qu'à nous deux une piaillante basse-cour ! Et dire que je t'avais promis l'Olympe sur terre, Grenade, Amalfi, Biskra, la manne et l'ambroisie, la ronde de tous ces fruits dont la saveur saigne, et André souriant, nous deux à ses côtés, dans la tenue de noces et nos doigts enlacés ! Ne sois pas trop déçu, ô mon lecteur complice, ne méprise pas la volière de mots que pour toi j'ai tressée, avec orgueil, avec passion et où tu joues sans pouvoir t'évader : ça et là pourtant, fugitifs instants (aile et page sont sœurs !), que tu le sentes ou non, que tu le croies ou non, au travers du grillage souillé de fiente, l'oiseau-lyre fuse de ma plume : son nom est Liberté !

Retour en altitude - que nul oiseau n'atteint, pas même notre ménure. Voici donc, en exclusivité, le résumé de ma thèse. En fait, ma démonstration s'appuie à l'origine sur une étude scientifique consacrée au mal aigu des montagnes. Cette étude qui se prétend – à tort – rationnelle et objective décortique, observations cliniques et examens médicaux à l'appui, les effets de l'altitude en haute montagne sur l'organisme humain. Lieu de l'observation : la fameuse « zone de mort » que constituent les 7000-8000 mètres. Rassure-toi, cher internaute, ma thèse est fort savante mais d'abord distrayante. Je te parlais donc de cette mission pseudo scientifique… Eh bien, dans cette enquête pluridisciplinaire qui se prétendait exhaustive, une information de premier ordre a été pudiquement – et volontairement – étouffée. Une omission soufflante ! D'où mon travail acharné pour rétablir la vérité et, conséquemment, rectifier courbes et statistiques. Voici la thèse que j'avance : les flatus himalayens, d'un strict point de vue écologique voire géopolitique, doivent être pris en considération de toute urgence. A la base de ce cri d'alerte que j'entends pousser, cette simple constatation qui n'est contestée par aucun scientifique mais qui, si je puis dire, est mise en veilleuse et pudiquement assourdie : dès 3500 mètres, le circuit intestinal chez l'être humain s'inverse et les gaz du sang, du fait de la pression atmosphérique, passent directement dans le circuit gastrique (« High Altitude Flatus »). C'est ainsi que des études récentes ont démontré que chez les pilotes militaires leur production-heure de gaz intestinaux passe rapidement de 111 millilitres à 500 millilitres. Prodigieux, non ? Dangereusement exponentiel. Les montagnards quant à eux flatulent toutes les 11 minutes à partir de 7000 mètres, ce qui fait précisément dire à Scoot dans l'interview en question : « Plus l'alpiniste monte, plus se renforce sa propulsion autogène. » Je n'ai plus le temps bien sûr (il fait vraiment de plus en plus chaud ici, ça devient intenable) d'aborder le phénomène des flatulences bovines et pourtant c'est fondamental : folles ou non, les vaches pètent, une moyenne de 4 à 5 mètres cubes par jour et par animal. Tous les bovins sont concernés, même ceux qui se prétendent sains. As-tu lu, l'anecdote que vient de rapporter le très sérieux Times, dans son édition spéciale ? Son correspondant dans le Kent a interviewé le n°1 du cheptel local. Question : l'éminent ruminant se sentait-il personnellement concerné et préoccupé par la progression de la maladie de Creutzvelt Jacob ? Très à l'aise devant le micro transgénique qu'on lui tendait, la vache a meuglé placidement : « Moi, je m'en fous, j'suis un canard ! » Hallucinant, non ? J'ai toujours eu un faible pour le flegme britannique… et aussi pour les vaches. Bref, ce qui est fondamental, ce ne sont pas les vaches folles et pétomanes, ni la brebis Dolly d'ailleurs, mais bien les conséquences écologiques et environnementales ! Imagine, sur les pentes de l'Himalaya, toutes ces émanations sournoises mais potentiellement dangereuses : quand on constate le nombre de yacks processionnant sur le tapis neigeux, quand on additionne les alpinistes bouchonnant le long des cordes fixes (« Chaque pas est une torture » gémit le directeur du CHU de Munich – que je cite dans mon étude – et qui a tenu à accompagner en personne les chercheurs), on imagine facilement que tout ce petit monde n'exhale pas que des plaintes !
L'heure est donc grave et le protocole de Kioto plus que jamais impérieux.


Michel BELLIN, Les oraisons jaculatoires, extraits (chapitre VIII)
manuscrit© disponible à la publication
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Merci au courageux éditeur qui, sensibilisé aux problèmes aigus de la production de gaz à effet de serre et aux propositions du pacte écologique présenté par l'ex-candidat Nicolas Hulot, acceptera de publier sans délai ma contribution décisive.