CINQ PETITS ANGES
Par Michel Bellin le dimanche 24 décembre 2006, 16:48 - Lien permanent
En cette veillée de Noël, envie soudaine de retrouver les cinq angelots qui m'émurent tant quand, jeune écolier, j'ânonnais difficilement le poème d'Arthur. Je sais - et c'est tant mieux - ces bébés miséreux n'ont rien à voir avec la réalité, tout avec la Poésie. (La télé vient pourtant d'annoncer qu'un nouveau-né a été abandonné devant le portail d'une villa, de quoi faire sangloter la France entière à l'heure du réveillon.) Tant mieux, tant pis, assez de jeux électroniques, de téléphones portables et autres gadgets pour gosses de riches décervelés...
LES EFFARÉS
Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond
À genoux, cinq petits, - misère ! –
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond…
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise, et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Ils écoutent le bon pain cuire.
Le boulanger au gras sourire
Chante un vieil air.
Ils sont blottis, pas un ne bouge,
Au souffle du soupirail rouge,
Chaud comme un sein.
Et quand, pendant que minuit sonne,
Façonné, pétillant et jaune,
On sort le pain,
Quand, sous les poutres enfumées,
Chantent les croûtes parfumées,
Et les grillons,
Quand ce trou chaud souffle la vie
Ils ont leur âme si ravie
Sous leurs haillons,
Ils se ressentent si bien vivre,
Les pauvres petits pleins de givre !
- Qu'ils sont là, tous,
Collant leurs petits museaux roses
Au grillage, chantant des choses,
Entre les trous,
Mais bien bas, - comme une prière…
Repliés vers cette lumière
Du ciel rouvert,
-Si fort, qu'ils crèvent leur culotte,
- Et que leur lange blanc tremblote
Au vent d'hiver…
20 septembre 1870
Œuvres complètes,
La Pléiade pp. 27-28