Ma bibliothèque est à peu près le seul trésor que je possède (avec mes CD et mon beau piano ivoire). Elle m'offre toujours surprises et plaisirs puisque je n'y conserve que mes livres de chevet, une petite cinquantaine d'incunables. C'est rien et c'est tout ! De Genet à Gide, d'Onfray à Cioran, de Cohen à Comte-Sponville, de Prévert à Sartre…chaque passage lu et relu est à la fois découverte et confirmation de l'émoi littéraire. Il y a aussi de grands livres d'images (souvent de beaux jeunes hommes nus et bandants tels que les affectionnent Cocteau, George Platt Lynes, Hans Van Manen…). Là encore, le déclic se produit et mes sens s'affolent : les yeux d'abord, puis la gorge qui s'assèche, puis…
Ce matin, avant de courir bosser en banlieue, ma main fébrile sort une merveille de Pierre & Gilles intitulée « Sailors & Sea » (aux éditions TASCHEN), un pur bijou que je n'avais pas rouvert depuis mon anniversaire de l'an passé (merci Pierrot !). Quel panthéon ! Tout est si délicieusement kitsch, si sensuel, et en même temps plastiquement homogène et stylistiquement cohérent. Certains détestent… moi, j'adore, je m'émerveille, comme un gosse devant le sapin de Noël. Fébrile, ma main tourne les pages, mes yeux avides absorbent couleurs et formes… de plus en plus impatient, je LE cherche… ne LE trouve pas… m'impatiente… où a-t-il disparu ? Soudain, un déclic. Deux rayons plus haut, je m'empare de ma Bible « The Male Nude », je cherche… oui… c'est là qu'il pose… je l'avais décrit dans une de mes nouvelles érotiques… ah ! le voilà enfin, mon mignon, ma gazelle, mon doux Jésus captif :« le garçon entravé » (Charly, 1993).
Du coup, juste pour le plaisir de le façonner, de le libérer, je scanne son portrait et l'insère sur mon site Internet (dans « Communions privées », l'une des six images, en bas à gauche. Tu y cours déjà, p'tit pédé de mon cœur ?!). Et je retrouve illico le fameux passage du livre lorsque Frédéric, mon livreur blondinet, s'extasiait déjà devant le tableau :
« (…) Frédéric reste planté devant le tableau, sidéré. Il y a de quoi ! Son corps livide est entravé de cordages blancs et sa queue, trop énorme pour être emprisonnée, jaillit d'un minisplip de neige. Le gros œil du gland s'arrondit de désir exacerbé, luisant, exorbitant. Les cuisses largement entrouvertes laissent saillir le membre énorme qui défie les entraves. Un cordonnet enserre le cou de la victime, juste ce qu'il faut pour faire saillir la pomme d'Adam appétissante. Les lèvres de la gazelle pâmée, fraîches et purpurines, s'ouvrent sur une rangée de perles, les yeux sont veloutés et sombres et les sourcils bruns se rejoignent presque, donnant au supplicié un gentil air farouche. Le cheveu d'ébène est ras, la chair rosée, le corps à la fois musculeux et gracile. Deux pôles fascinants : la bouche appétissante et la queue turgescente. Magnifique offrande votive à qui ne manque que le verbe : « Viens, libère-moi, baise-moi. Viens, mon beau sauveur, libère ma queue entravée. Elle est trop à l'étroit, comme un sceptre elle flamboie. Suce-la, suce-moi. Caresse ma peau de rêve ! Palpe mes pectoraux ! Pince mes tendres tétons ! Serre ma gorge pantelante ! Baise mes lèvres gourmandes ! Pose ta bouche dans le creux des paupières ! Vrille ta langue entre l'émail de mes dents ! Plus loin, plus profond, jusqu'au fond de ma gorge. Joue avec ma langue, comme une liane souple, comme un Arlequin acidulé qui libère tout son suc. Viens ! Libère mes couilles congestionnées, empoigne-les à pleines mains, fais rouler entre tes doigts les agates épilées, les gros bonbons juteux ! O Viens mon bel archange ! Et dans mon cul fondant enfonce ta phalange… »Frédéric s'est retourné. Il semble chaviré par tant de beauté, comme sonné. La face interne de sa cuisse me paraît encore plus tuméfiée. Je m'approche ému, la gorge nouée. Mon séduisant livreur semble être ailleurs. Il murmure extasié : « C'est beau l'Art, c'est rudement beau… »
(Charme et splendeur des plantes d'intérieur, de Michel Bellin, Ed. H&O, pages 12 et 13).
Oui, c'est rudement beau l'Art, tu as mille fois raison, Fred… la magie des couleurs relayée par l'ensorcellement des mots ! C'était mon double cadeau du jour à mes amis internautes et je… putain ! déjà 8h 20, une demi-heure de retard, il pleut par-dessus le marché, mon sac n'est pas prêt, je suis semi-nu… et le rouleau de Sopalin est introuvable !!
Crois-moi, Fred, c'est rudement contrariant… l'Art !