Don Quichotte de Montclairgeau

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Alna éditions
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4è­¥ de couverture :

Lorsque Michel Bellin découvre l'imposant journal que le jeune Paul S. a tenu dans les premières années du XXè siècle, il lui semble que ces lignes lui parlent de lui. Happé par ce texte, il s'en inspire livrement pour composer son Don Quichotte de Montclairgeau, oeuvre aux frontières du théâtre, de la musique et de la confession.

Egalement romancier (Le messager - ed. H&O) et nouvelliste, Michel Bellin sonde dans son oeuvre dramatique (Le duo des ténèbres et Raphaël ou le dernier été - ed. Alna) les tourments de l'âme humaine ballottée par le temps qui passe. Son écriture, tout à la fois d'une grande poésir et d'une extrême précision, renforce la teneur de son propose, toujours essentiel.

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Extrait :
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2ème TABLEAU

Paul se lève, va chercher un deuxième cahier. Il s’assied négligemment sur le rebord de la table et lit.

« Mercredi 2 septembre 1919. L’oiseau bleu. »
(Paul fait une confidence au public).
Le plus souvent, je donne un titre à chacune de mes chroniques. Sauf depuis quelques semaines… Peut-être ai-je perdu le feu sacré ? (Il reprend.)

« L’oiseau bleu. Je devrais marquer ce jour de plusieurs cailloux blancs, car ce fut un jour heureux et qui aurait dû le rester si ceux qui l’ont suivi en avaient été dignes.

Vers la fin de la matinée, je quittai Montclairgeau pour tenter une chasse aux papillons. J’arpentais le grand pré, entièrement fauché, puis je me rapprochai des tilleuls. Je n’eus guère plus de chance qu’hier et mon humeur commençait à s’assombrir. J’allais oublier de noter que Gaëtan de Virville avait débarqué vers 9 heures, pensant que sa chambre à air était percée. Ce garçon est peut-être un puits d’intelligence, comme Mère ne cesse de me le répéter mais… »

(Paul fait une autre confidence au public)

Mère ne cesse de me citer en exemple Monsieur de Virville, ça m’agace car cet escogriffe, à mon avis, ne mérite pas sa réputation. Alors je hausse les épaules et Mère s’en offusque, ça ne se fait pas chez les Simon. Il faut vraiment que je me corrige de cette mauvaise habitude, moins grave que l’autre, mais tout de même…

(Il reprend sa lecture du cahier)

« Ce garçon est peut-être un puits d’intelligence mais la mécanique n’est pas son fort ! Le pneu n’était que dégonflé et je me suis donné de la peine pour rien. Je fus néanmoins flatté qu’un de Virville fît appel au spécialiste de service ! Gaëtan me rappela qu’il y avait un thé ce soir au village, c’était « le jour » des Grimal et j’étais, bien entendu, le bienvenu.

A l’heure dite, je ne m’étais pas encore décidé. Je supporte de moins en moins ces « bouffe-gâteaux » rituels. Cinq heures avaient sonné… Je me dis que je m’ennuierais terriblement en restant ici. Me voilà donc pédalant au gros soleil sur la route, ma raquette de tennis au poing. Je songeais tout en pédalant, je me disais que mon séjour dans le Jura avait tué en moi tout sentiment de flirt. A quoi bon un projet sentimental par ici ? Ce serait un chagrin de plus et avec la rentrée qui approchait, je devais m’épargner ce genre de tourment. Paris suffisait bien !

Lorsque j’arrivai, après avoir salué les gloutonnes distinguées qui jasaient dans le jardin, je filai vers le tennis, dans le fond du clos. »

(Paul donne au public une explication)

C’est un endroit charmant. Essayez d’imaginer, peut-être en fermant les yeux. Ca marche, je vous assure : le court a été aménagé selon les règles de l’art dans une sorte de verger, coupé d’un bouquet de charmille et fermé au sud par une haie naturelle. La vue plonge sur Villevieux et une grande partie de la Bresse. Quand les yeux lâchent la balle sur le court, ils peuvent se reposer un instant et se recharger à la simple vue des lignes horizontales. C’est épatant ! Le tennis est très à la mode cet été, mais il paraît que le polo revient en force. Il fait déjà rage chez les Klotz, c’est dire !

(Paul reprend sa lecture)

« J’approchais donc du clos lorsque… - comment dire cette chose bête ? – j’eus de loin la vision charmante d’une jeune personne, 15 ou 16 ans, guère plus. Ce n’était que la petite Denise Grimal, mais je ne l’avais jamais découverte ainsi jusqu’à ce jour. Il y a encore un an ou deux, elle n’était qu’une fillette guère plus âgée que ma sœur Geneviève. Je l’avais revue à Persanges début juillet. Déjà à l’époque, j’avais subi ce même mirage à la fois fascinant et déplaisant : fasciné de loin, de près déçu, n’aimant ni ses petits yeux ni ses cheveux laissés longs ; des sortes d’anglaises un peu négligées. Mais aujourd’hui, c’était un vrai miracle, sans réserves, tant était séduisante l’apparition : Denise avait relevé ses cheveux blonds en chignon et, ainsi coiffée, elle en devenait presque jolie, en tout cas aérienne et plus racée.

Les parties de tennis commencèrent. A un moment, alors que j’étais sur le bord du court, je pus examiner plus attentivement encore ma future conquête, surtout son profil que mettait en valeur une lumière rasante. Ses traits sont vraiment réguliers, presque enfantins, avec pourtant un galbe féminin laissant entrevoir des promesses. Plus bas, la toilette légère et courte – ce que ne se permettent plus des jeunes filles presque femmes – laissait visibles de jolies jambes, aux attaches fines, sans graisse superflue. J’eus presque honte de mon observation prolongée. Ce n’est qu’une enfant… Bien que cela fût irrationnel – ou plutôt trop raisonné pour être authentique – je tombai sous le charme de ma Diane de Gabies. Et, instinctivement, je me fis bel et bien une raison qui me permettrait de sauvegarder mon cœur sans m’interdire l’émoi. Je me dis donc que j’admirais Denise en artiste, uniquement pour sa grâce juvénile, l’harmonie de ses lignes. Je ne caressais des yeux qu’un bourgeon, quand on espère un printemps.

L’heure du thé fut pour une fois, délicieuse. Denise faisait passer l’assiette des pâtisseries maison et lorsque sa jupe frôla mon genou, je fus bouleversé. Je crus humer un parfum de violettes, mais peut-être n’étaient-ce que les biscuits, Madame sa Mère ayant la manie de mettre partout ses « chères fleurs comestibles » ! De retour sur le court, nous étions les uns et les autres plus alanguis. C’était une heure exquise : le soleil se couchait dans une splendeur orangée, de l’or en fusion formant une toile de fond splendide. Puis la lumière baissa. Néanmoins, à sept heures passées… »

(Paul fait une confidence)

Je porte rarement une montre au poignet, en tout cas pas lorsque je joue au tennis, de peur d’en fausser le mécanisme. En fait, je n’ai pas besoin de montre, l’Angélus me suffit ! La nature, les saisons, les couleurs des feuillages, le gazouillis des oiseaux, le son des cloches… ce sont mes repères. Car ma vie à l’extérieur s’écoule de manière si morne, si répétitive, surtout quand je vis à Paris, que la seule vue d’un cadran serait un supplice supplémentaire.

(Paul reprend la lecture)

« Donc, à sept heures passées, nous décidâmes de disputer un dernier match. Face à face, d’un côté Gaétan et Lolo de Catelin, de l’autre Denise et moi-même. Simple hasard, je le jure ! Même si je soupçonne le dieu qui décoche des flèches de n’être pas étranger à la composition providentielle des équipes. Si ma Diane et moi-même avions gagné, mon triomphe eût été total. Mais nous avions trop présumé de la longévité des feux mourants de Phébus… La bataille acharnée resta longtemps indécise et cessa, non faute de combattants, mais faute de clarté. Il faisait presque nuit lorsque nous nous séparâmes en coup de vent. J’avais espéré de Denise l’impossible, un mot, un effleurement, un frisson… Ce ne fut qu’un fugace « Bonne nuit, Paul ! » mais je recueillis son salut comme un orient au fond de ma coupe de bonheur. »

En remontant à bride abattue vers Montclairgeau, au milieu du bois de Ruffey qu’animaient de grandes ombres romantiques, très en retard, je songeais avec une délicieuse ironie à ce proverbe : « Il ne faut pas dire : ‘Fontaine, je ne boirai pas de ton eau’ » J’avais bu, j’avais du moins humecté mes lèvres et, à défaut d’en être grisé, je me sentais désaltéré. Peut-être cette jouvencelle allait-elle enfin me visiter pour enchanter ma morne existence ? »

Paul se met à valser, serrant contre lui une amoureuse virtuelle. Euterpe s’est levée pour chanter l’air de Franz Lear tiré de « La veuve joyeuse ».

HEURE
EXQUISE

Heure exquise, qui nous grise lentement
La promesse, la caresse du moment,
L'ineffable étreinte de nos désirs fous
Tout dit : gardez-moi puisque je suis à vous.

Paul lui donne la réplique :

Sanglots profonds et longs des tendres violons
Mon cœur chante avec vous à casse-coeur, à casse-cou !

La cantatrice poursuit seule :

Brebis prends bien garde au loup,
Le gazon glisse et l'air est doux
Et la brebis vous dit : je t'aime, loup !

Euterpe et Paul chantent en duo :

L'ineffable étreinte de nos désirs fous
Tout dit : gardez-moi puisque je suis à vous.


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Mot de l'auteur :
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Paul s’est noyé le 15 août 1920. Il aurait eu vingt ans le surlendemain. Cet accident laissait quatre sœurs et une mère anéanties, le père – musicien bohème – ayant depuis longtemps déserté le foyer.

J’ai retrouvé par hasard les huit derniers cahiers de son Journal (« Mes Chroniques » n°XLI à XLVIII, d’août 1919 à août 1920) où danse une fine écriture violette éclairée ça et là de lavis. Tout de suite, je me suis emparé de ce manuscrit : Paul, lui, s’est emparé de moi ! Ses émotions ranimaient les miennes, mes mots sculptaient les siens. Dès les premières lignes (péniblement déchiffrées), nous nous sommes infiltrés. Plus que l’osmose, la transsubstantiation : je devenais lui ! Paulus est enim corpus meum. Sacrilège ? Non, pur miracle littéraire : écrivant sous la dictée d’un regard profond – photographie épinglée au-dessus du clavier – je me suis transfusé en ressuscitant Paul, en redonnant vie aux paysages du Jura qu’il aimait tant parcourir à vélo, à ses incessantes interrogations sur un avenir qu’il peinait à discerner, aux êtres chers dont il voulait affectueusement se déprendre (entourage essentiellement féminin). Mes paysages, mes interrogations, mes détachements… Plus que tout, comme tout adolescent, comme tout être humain, Paul aspirait à aimer, peut-être davantage à aimer qu’à l’être en retour. Encore fallait-il découvrir le visage élu : cousine séductrice ou Messire Inconnu ? Troublant et éternel mystère des êtres authentiques qui se cherchent sans relâche pour advenir à eux-même sans fard.

Au fil des pages, alors qu’émerge peu à peu des feuillets jaunis une époque corsetée et saturée de religion, j’ai découvert un jeune homme étincelant, sensible, tourmenté, drôle, lucide, d’une insatiable curiosité, avec les défauts (charmants) de ses qualités, contemporain pour tout dire et, par la seule magie des mots - les siens, les miens sans cesse greffés -, j’ai éveillé un être à jamais jeune et beau : Paul l’Immortel ! Ce sont les derniers fragments de son Journal que je livre ici – une année de vie parisienne entre deux étés campagnards - pages d’étudiant que j’ai décryptées, assimilées puis orchestrées. Délicieux labeur : chaque jour, passion et patience combattaient en moi, notre oeuvre prenait forme trop lentement à mon gré tandis que l’échéance par avance me poignait le cœur puisque je la connaissais et la redoutais, puisque j’avais spontanément élu Paul pour le façonner fils, frère et amant. Et aussi alter ego : cet adolescent vibrant que je n’ai pas pu ni su être – lancinant regret - et que mon « don Quichotte de Montclairgeau » (comme il aimait à se désigner par ironie) m’a permis de devenir sur le tard, à quelque cinquante années de ma naissance et à plus d’un siècle de la sienne.

Mais qu’importent les années qui passent… Les mots possèdent assez de force pour redonner vie aux souvenirs et assez de douceur pour soulager certains maux lorsqu’on en fait le récit. Le temps est aboli : le passé est mort mais le texte palpite, le présent est réenchanté car la langue est baume et parure. « La réalité est fiction, l’écriture est vérité : telle est la ruse du langage. » (Barthes). Et l’ineffaçable fidélité. Tel a été notre funeste bonheur. Tel est à présent mon espoir : que chacun de mes lecteurs s’attache à cet enfant perdu emmailloté dans mes mots autant que dans ses rêves, qu’il le berce, le réchauffe et l’adopte à son tour.

St-Loup-de-la-Salle, 16 août 1919
Boulogne-Billancourt, 13 mai 2005


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On ne peint bien que son propre cœur,

en l’attribuant à un autre.

CHATEAUBRIAND


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Ah ! l’égoïsme infini de l’adolescence,
l’optimisme studieux : que le monde
était plein de fleurs cet été ! Les airs et
les formes mourant… – Un chœur pour
calmer l’impuissance et l’absence ! Un
chœur de verres, de mélodies nocturnes…
En effet les nerfs vont vite chasser.

RIMBAUD, Illuminations


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Commentaire des lecteurs :
Commentaire - 1 :

Bonjour, Un petit mot pour vous dire combien j'ai été touché par l'extrait dénommé "L'oiseau bleu", que vous avez mis en ligne. Je souhaiterais, si vous le voulez bien échangé quelques avec vous. Très cordialement, Pierre Boulanger

Sa note : bon

Ecrit par Pierre le Jeudi 05 Février 2009.


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