Non pas que le tennis, pas plus que le foot, m'intéresse le moins du monde. Égal mépris et totale indifférence. Mais soudain, me sautèrent aux yeux – sur une simple page de journal – l'omniprésence commerciale, la décadence esthétique et la vulgarité de masse qui collent tant à une époque honnie. Ce Gaël, un jeune héros exalté ? Non, d'abord un look, des sigles, un rictus, des dreadlocks, une noirceur … Passons. Nulle envie de polémiquer ici. Plutôt fuir et relire. Après avoir détourné mon regard de la consternante icône française, je suis dare dare revenu à Paul de Montclairgeau, mon jeune héros des années vingt, si obsédé, lui, bêtement mais esthétiquement obsédé, par sa tenue vestimentaire et, sur un cours comme en toutes circonstances, par sa classe impeccable et son élégance morale. Mais où est la grâce d'antan ?





« À cause du temps trop incertain, pas de tennis à Persanges aujourd'hui. Nous en fûmes bien aise, Cécile et moi car, lundi dernier déjà, nous ne nous étions pas décidés à y monter, par fausse honte pour nos vilains habits. Marinette devait nous confectionner des tenues plus adaptées à notre talent sportif (pantalon de coutil immaculé pour moi, longue jupe seyante pour ma sœur), mais notre bonne avait eu des ennuis avec sa machine, la courroie ayant brusquement craqué. Bon Papa a fait une réparation provisoire qui n'a guère été concluante. Il manque décidément un homme dans cette maison, un homme qui sache bricoler, s'y connaisse en mécanique, ait le sens des réalités. C'est du moins le reproche que j'ai déchiffré dans le regard exaspéré de Mère. Que répliquer sinon hausser les épaules ? Bref, Marinette devra faire tous ses ourlets à la main et comme le mariage est imminent, nos tenues de tennis attendront.

En fin d'après-midi, un peu dépités tout de même de nous être exclus pour une simple question d'amour-propre vestimentaire, nous nous sommes embusqués Cécile et moi dans la cabane du potager. Nous voulions assister à la dérobée au retour des valeureux sportifs : Xavier, Gonzague, sa sœur Marie-Clémentine et surtout Denise. J'avoue que ce fut un moment délicieux : j'ai pu épier le jeune Gonzague sans en perdre une seule parcelle, enviant sans comprendre l'origine d'un tel émoi, cette physionomie et ces boucles d'or digne d'un Antinoüs antique. J'ai oublié de noter, respectant l'ordre chronologique, que mon flirt n°2 de l'an passé – la ci-devant Denise – était déjà venu en début d‘après-midi porter une invitation à Mère. Je l'avais manquée de peu, plongé dans Atala. Caché derrière la fenêtre, le cœur légèrement battant, je constatai que l'oiseau bleu avait engraissé et conservé en guise de huppe une hideuse et puérile coiffure. J'en éprouvai une vive déception et une mortification personnelle : qu'avais-je pu trouver de seyant à cette jeune personne ? De profundis donc, sans regret d'ailleurs car c'était un pur non-sens. Reste « l'autre » que je reverrai lundi et qui porte le n°3. Qu'en adviendra-t-il ?

Finalement, les filles, c'est comme les livres : quelque chose de neuf et d'authentique, sinon rien. D'où la rareté dans les deux domaines et mon si fréquent désenchantement, alors que les bons ouvrages, eux, ne résistent pas à mon flair par leur profondeur et leur durable séduction. »

Extrait de Cet été plein de fleur, chronique d'une mélancolie, L'Harmattan, 2009.