En nous présentant avec l'Ami devant la Pyramide de verre, déjà le découragement nous saisissait : aurions-nous la patience de nous insérer dans l'interminable queue bardée de caméras et d'appareils photos ? C'est alors qu'une charmant hôtesse nous glissa un tuyau : entrer plutôt par la Porte des Lions puis, après avoir traversé la galerie consacrée aux artistes italiens et espagnols; joindre le lieu de l'exposition temporaire (avril-juillet 2011). Aussitôt suggéré, aussitôt fait. D'ailleurs, le raccourci s'avéra moins bref que prévu tant les splendeurs ici exposées nous stupéfièrent : Le Greco, le Caravage, Raphaël, Léonard de Vinci... n'en montrez plus ! Et toute cette foule ravie, enthousiaste, à la fois paisible, tous âges et races réunis, tous ces bipèdes s'assemblant ici, non pour se faire la guerre, mais pour communier pacifiquement à la Beauté ! N'est-ce pas le plus merveilleux ? Le plus encourageant ? Bref, j'en fus à la fois enchanté et réconforté, partagé entre la jubilation esthétique et ma réconciliation humaniste avec le genre humain !

Retour à exposition qui s'origine dans un épisode de la vie du célèbre peintre. Dans l'inventaire de ses biens établi au moment de sa banqueroute en 1656, la mention d'un tableau suscita la perplexité des huissiers : « Une tête de Christ, d'après nature. » D'après nature ? Qu'est-ce à dire ? Cette énigme est le point d'une recherche qui a abouti à l'exposition présentée actuellement au musée du Louvre, puis à Philadelphie et à Detroit. Dans quelles circonstances Rembrandt et ses élèves ont-ils peint des études pour une tête de Christ ? Quelle pouvait être la fonction de ces tableaux ? Simples exercices d'ateliers ? Minutieuses études destinées à être reportées dans de grandes compositions religieuses ? Ces peintures en tout cas paraissent graviter autour des Pèlerins d'Emmaüs, l'une des œuvres phares des collections hollandaises du Louvre et l'une des plus célèbres représentations du Christ après la Résurrection.

Un modèle vivant, un jeune homme issu de la communauté juive d'Amsterdam, a-t-il posé dans l'atelier du peintre, prêtant ses traits à Jésus ? Derrière cette question, on devine les enjeux de l'art de Rembrandt : l'amour de la nature, l'émulation avec les artistes de la Renaissance – aussi bien italiens que germaniques – , la volonté de renouveler les images chrétiennes. « Rembrandt et la figure du Christ » : une silhouette, un visage, une expression..; mais aussi une grande personnalité artistique qui s'épanouit lorsqu'elle affronte un thème universel, peut-être le plus difficile qui soit : peindre le visage de Jésus-Christ.

Est-il utile d'ajouter que dans la pénombre silencieuse (habitée par la présence séduisante et aimante de mon ex préféré), je nageais en plein bonheur pascal.

Ô Rabbouni !




Rembrandt, Tête de Christ, vers 1648
(huile sur panneau de chêne, H 25 ; L 21,5 )