DUALITÉ-COMPLICITÉ
Par Michel Bellin le jeudi 27 janvier 2011, 08:39 - Lien permanent
Je lis actuellement deux livres fort intéressants : « Jean Barois » de Roger Martin du Gard (1913) et « L'audace d'aimer » de Jacques de Bourbon-Busset (1990). Le premier me passionne, le second me trouble. C'est ce dernier que j'évoque aujourd'hui.
En fait, à force d'éviter l'opus dans ma bibliothèque, de le contourner (tant je me méfie des titres contenant le mot ‘amour'), de m'en saisir puis de le reposer, j'ai fini par l'ouvrir, par le commencer sans conviction, par le poursuivre avec application, et puis… Plus qu'un roman, il s'agit d'un conte philosophique (Dieu se met dans la peau d'un humain, Monsieur Paul, puis Il s'ennuie un peu et transmigre dans d'autres sacs de peau humains). L'auteur, à la fois ambitieux et habile, nous invite à poser un regard nouveau sur la condition humaine. Il conclut, comme l'a déjà fait son œuvre entière, à la nécessité de la dualité confiante, qu'il appelle aussi complicité :
« La complicité assure la durée d'un amour mais aussi d'un atome, d'une cellule, d'une étoile, d'une galaxie. Le premier et le dernier mot du cosmos, c'est la dualité-complicité. La complicité est la passion de l'univers. Le secret du monde est qu'il se trouve à deux. »
En attendant, la solitude. Rêvée et surmontée. Idéalisée et maudite. Ci-après un passage où l'héroïne explicite à la fois son envie et sa frustration. Pour augmenter la force du trouble (son délice ?), j'ai lu et relu ce passage… au masculin, en me mettant dans ma propre peau. Et ça marche ! Sa soif, jamais étanchée, devient la mienne : jamais cet ouragan ne m'a saisi(e), et pourtant je sais qu'il existe, qu'il compte plus que tout. Je ne voudrais pas mourir sans avoir été emportée par lui, sans avoir trouvé chez un homme la patrie et l'honneur de mon âme.
En fait, à force d'éviter l'opus dans ma bibliothèque, de le contourner (tant je me méfie des titres contenant le mot ‘amour'), de m'en saisir puis de le reposer, j'ai fini par l'ouvrir, par le commencer sans conviction, par le poursuivre avec application, et puis… Plus qu'un roman, il s'agit d'un conte philosophique (Dieu se met dans la peau d'un humain, Monsieur Paul, puis Il s'ennuie un peu et transmigre dans d'autres sacs de peau humains). L'auteur, à la fois ambitieux et habile, nous invite à poser un regard nouveau sur la condition humaine. Il conclut, comme l'a déjà fait son œuvre entière, à la nécessité de la dualité confiante, qu'il appelle aussi complicité :
« La complicité assure la durée d'un amour mais aussi d'un atome, d'une cellule, d'une étoile, d'une galaxie. Le premier et le dernier mot du cosmos, c'est la dualité-complicité. La complicité est la passion de l'univers. Le secret du monde est qu'il se trouve à deux. »
En attendant, la solitude. Rêvée et surmontée. Idéalisée et maudite. Ci-après un passage où l'héroïne explicite à la fois son envie et sa frustration. Pour augmenter la force du trouble (son délice ?), j'ai lu et relu ce passage… au masculin, en me mettant dans ma propre peau. Et ça marche ! Sa soif, jamais étanchée, devient la mienne : jamais cet ouragan ne m'a saisi(e), et pourtant je sais qu'il existe, qu'il compte plus que tout. Je ne voudrais pas mourir sans avoir été emportée par lui, sans avoir trouvé chez un homme la patrie et l'honneur de mon âme.
« Si mon amour s'est écroulé comme un mur mal cimenté, c'est parce qu'il lui manquait l'essentiel : la conversation confiante entre deux âmes. La conversation des corps et des intelligences ne suffit pas. Elle est artificielle et mécanique si ne s'y mêle un souffle venu d'ailleurs, le vent de la déraison, plus raisonnable que toute raison, qui pousse deux âmes l'une vers l'autre. J'ai couché avec beaucoup d'hommes, j'en ai aimé quelques-uns mais jamais cet ouragan ne m'a saisie, et pourtant je sais qu'il existe, qu'il compte plus que tout. Je ne voudrais pas mourir sans avoir été emportée par lui, sans avoir trouvé chez un homme la patrie et l'honneur de mon âme.
Cet homme improbable serait mon allié pour lutter contre la mort. Notre étreinte étranglerait la mort. Entre nos bras, entre nos cuisses elle étoufferait et ne serait plus qu'un petit monstre muet et blafard. Nous irions la main dans la main dans les champs sans bornes et notre rire ferait reculer le vent. Je sais que cela est à la fois vrai et impossible, que c'est la seule vérité et que je la rendrai impossible, parce que la vérité, je crois, me fait peur.
Je n'attends pas un maître. Il y a dans la maîtrise je ne sais quoi de ridicule. J'attends un compagnon qui me protège, un ami auquel je puisse me fier, les yeux fermés. Fermer les yeux, c'est ce que je ne sais plus faire. J'ai pris l'habitude de décider, juger, calculer. Mon métier a déteint sur moi. Souvent je m'adressais à Pierre comme à un de mes camarades de bureau. Il protestait. Je ne m'étais même pas rendu compte que je lui parlais de mec à mec. Je le situe déjà au passé. Le désamour file vite. Je vais réapprendre la solitude et ce n'est pas en m'envoyant en l'air avec le premier venu que je la romprai. La solitude, on ne s'y habitue pas. Chaque jour, chaque nuit la rend plus épaisse. C'est une vitrification. Je sais aussi, par expérience, car mes années de solitude ont été plus nombreuses que les autres, que seule, je piétine, je n'avance pas sur le chemin que je crois le mien. J'ai besoin d'un complice et d'un témoin. »
Jacques de Bourbon-Busset, L'audace d'aimer, pages 111-112, Gallimard, 1990.