LA FAUSSE BONNE NOUVEAUTÉ DU LIVRE ÉLECTRONIQUE
Par Michel Bellin le samedi 4 décembre 2010, 11:51 - Lien permanent
Le livre, n'importe quel livre – l'objet en papier s'entend – a ceci de particulier et d'universel depuis Gutenberg que c'est précisément… un livre ! un objet, qui a telle ou telle forme, tel poids, telle épaisseur, telle jaquette etc. Et c'est pour cela que je l'apprécie et que, de temps en temps, j'en commets. Qu'il ait été imprimé à quelques centaines ou à des milliers d'exemplaires, qu'il soit luxueux ou bon marché, qu'il soit flambant neuf ou qu'il soit déjà passé entre de nombreuses malins ou sous d'autres yeux avides ou déçus, chaque opus est pour moi un objet unique, original, jamais standardisé, et pratiquement intemporel à moins d'être dévoré par les rats ou par les flammes. Et cet autre avantage surtout : un livre ne tombe jamais en panne ! Pour moi, outre qu'il est matériel, c'est l'argument décisif.
Dans un article du Monde que j'avais soigneusement découpé et que je viens de retrouver ce matin en faisant des rangements, Robert Solé (Si les pages des « liseuses » s'envolaient… Le Monde des Livres du vendredi 23 octobre 2009) va beaucoup plus loin, il fait du livre traditionnel une question de connaissance, de culture de base et nous renvoie à notre identité de « lecteurs » : amateurs de gadgets ou passionnés du savoir qui est « expérience de vie » ! Explication :
Dans un article du Monde que j'avais soigneusement découpé et que je viens de retrouver ce matin en faisant des rangements, Robert Solé (Si les pages des « liseuses » s'envolaient… Le Monde des Livres du vendredi 23 octobre 2009) va beaucoup plus loin, il fait du livre traditionnel une question de connaissance, de culture de base et nous renvoie à notre identité de « lecteurs » : amateurs de gadgets ou passionnés du savoir qui est « expérience de vie » ! Explication :
Le livre électronique arrive. Ses promoteurs l'ont joliment baptisé « liseuse », un mot de grand-mère, sans doute pour calmer nos craintes. Va-t-il détrôner le livre imprimé ? C'est le point de départ d'une passionnante conversation entre deux écrivains et bibliophiles qui n'ont jamais boudé les chemins de traverse. Scénariste, Jean-Claude Carrière se passionne pour la bêtise, tandis que le sémiologue Umberto Eco ne collectionne que les ouvrages ayant une relation avec les choses erronées. Parler du livre leur permet de disserter avec la même aisance sur Aristote, Napoléon, Fellini ou Bouddha. Pour notre plus grand plaisir (N'espérez pas vous débarrasser des livres, de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, entretiens menés par Jean-Philippe de Tonnac, Grasset, 342 p., 18,50 €).
Tout au long de l'histoire, des bibliothèques sont parties en fumée, victimes de catastrophes ou de bûchers. Aujourd'hui, les livres semblent être moins menacés par le feu que par la fée informatique. Et pourtant...
Avec Internet, nous sommes revenus à l'ère alphabétique, souligne Umberto Eco. Nous pensions être entrés dans la civilisation des images. Or l'ordinateur nous réintroduit dans la galaxie de Gutenberg : aujourd'hui, tout le monde est obligé de lire. Et, pour lire un roman, par exemple, le livre reste le support le plus pratique. Il évoluera peut-être dans ses composantes, ses pages ne seront peut-être plus en papier, mais il restera fondamentalement le même. Le livre est comme la roue, une sorte de perfection indépassable. Nos deux érudits ne se résignent pas à la mort annoncée du papier. Rien n'est plus éphémère que les supports durables, remarquent-ils. Nos outils de stockage se démodent à toute allure. Nous n'avons plus de machines adéquates pour lire les premières disquettes des années 1980, la préhistoire informatique. C'est encore le livre imprimé qui résiste le mieux aux révolutions techniques et aux outrages du temps.
Sans être passéiste, on peut mesurer les inconvénients de l'informatique. Avant, il suffisait d'apprendre à lire, comme on apprenait à faire du vélo : c'était bon pour la vie. Désormais, on doit continuellement s'adapter aux innovations techniques. Nous devenons d'éternels étudiants, toujours dépassés, toujours angoissés, et toujours frustrés.La culture est une sélection. Aucun cerveau ne peut emmagasiner tout le savoir du monde. L'invention de l'imprimerie avait permis de stocker dans des livres des pans entiers de la mémoire humaine. Internet, pour sa part, nous abreuve de détails et nous noie d'informations en les mettant toutes sur le même plan. « La connaissance, remarque Jean-Claude Carrière, c'est la transformation d'un savoir en une expérience de vie. » Serons-nous capables de confier la charge d'un savoir sans cesse renouvelé à des machines, pour nous concentrer sur la connaissance ? Plus encore que le sort du livre, c'est peut-être là que se joue l'avenir des lecteurs que nous sommes.
Robert Solé