Surfer dans l'Imaginaire – exalter par l'écriture cette spirale virtuelle – comporte un danger : dévaluer le réel. Tout au moins l'affadir. Parfois l'accuser : telle rencontre tant désirée, telles retrouvailles fantasmées, tel choc artistique escompté, tel vertige sensuel désamorcé… ce n'était donc que ça !

Oui, la réalité est banale. La vie, sauf de trop rares épiphanies, n'est pas un poème, mais une prose très basique. Et chacun d'entre nous n'est qu'un tout petit bipède balbutiant.

Lorsqu'on sort de l'Idéal porté et fallacieusement transcendé par la ferveur (qu'elle soit simplement humaine ou religieuse) et sculpté par les mots, il y a un double danger : désespérer (d') autrui et s'irriter contre soi-même. Chute d'Icare et brutal retour sur la terre : seul le réel est souverain. Seuls règnent la banalité, la demi-mesure, l'accord imparfait. En soi et autour de soi. Ne jamais oublier notre contrat de naissance qui est en même temps notre feuille de route : l'homme est un être prématuré dévoré de rêves et malhabile à vivre.

Seule la mort (choisie ou consentie) nous délivrera d'une telle infirmité ontologique. Seul le Néant pulvérisera le vide individuel et l'insondable médiocrité ambiante.

En attendant, l'instinct de survie – misérable et indispensable aiguillon.