Samedi faste. Phébus flamboie, il va faire très chaud. La veille, un dîner en tête à tête avec mon vieil ami comédien. Il râle beaucoup, joue la star, mais sa culture et son humanisme m'enchantent et nous arrivons à nous compléter devant notre pizza romana, lui avec son verre de pessimisme à moitié vide, moi avec le mien à moitié plein.

La nuit fut longue et reposante. À l'aube, après m'être offert une volupté maison, tout en restant ensuite alangui dans ma mezzanine, j'ai écouté avant de me lever une symphonie de Schubert, la Grande. J'avais parié sur du Brahms, raté ! Un peu plus tard, je prenais le chemin de Garches, notre squat qui rétrécit comme peau de chagrin à cause des travaux. Rien à redire : à chacun ses projets et à mesure que montent les murs de la monstrueuse villa qui nous exilera bientôt, ma décroissance est de plus en plus jouissive. La nostalgie du futur ! Sitôt vautré dans la vieille chaise longue délabrée (face à une énorme pelleteuse mécanique ici très incongrue), en marcel sous mon vaste tablier blanc (ah ! cet air frais qui chatouille les aisselles !), tout occupé à siroter un scotch glacé, j'ai aperçu notre rouge-gorge qui s'est aussitôt approché en sautillant. Enfin un vieux copain ! a-t-il dû penser dans sa petite tête. En fait, il adore la musique baroque, plus encore les concertos pour violon de Monsieur de Saint-Georges, le Nègre des Lumières. L'oiseau s'est donc posé sur une branche du cède géant, à l'aplomb de mon siège. Accompagnés par les Archets de Paris, nous avons pu entamer notre double concerto en sifflotant gaiement à tour de rôle. C'est un petit compagnon charmant ! Dans l'azur, un autre oiseau laissait une longue traînée blanche… J'ai fermé les yeux : de quel bonheur paisible est privé l'Ami au loin ! Mais demain sera un autre jour…J'ai alors repensé à ma fameuse maxime que je ne parviens pas à mettre au point. Ma préférée, brève et incisive (Vivre, c'est savourer chaque instant qui meurt) est en fait bancale ; elle sent la méthode Coué car elle ne tient pas compte des passages à vide, du moral au fond des chaussettes (hier, mon portable restait muet). Je pense corriger l'aphorisme ainsi : « Vivre, c'est savourer ou endurer chaque instant qui meurt. » Car quel que soit l'état d'âme - bien-être ou amertume - le Temps qui emporte aussitôt ce qu'il vient d'offrir instille ainsi fugacement dans notre âme légèreté et bienveillance.

Nous n'avons donc pas matière à nous plaindre et tout est bien hic et nunc dans le meilleur des mondes !