Au matin du 6 juin, je m'éveillai de fort bonne humeur. Mon rhumatisme s'était envolé grâce à un traitement maison très efficace… sauf que je n'avais pas lu sur la notice une possible contre-indication.

Tu peux sourire, ami(e) internaute, mais quand ce problème ne t'est jamais arrivé de toute ta vie, que transit rime chez toi avec satisfecit, que le cabinet est vraiment en tes pénates un lieu d'aisance béate… bref, que la vie est simple et légère, tu peux imaginer face à cette foudroyante obstruction ma perplexité, puis mon impatience, enfin ma folle angoisse.

Non possumus ! dirait Benedetto en ses dentelles. (Or, j'étais pressé, devant courir avant midi à la banque puis à la bibliothèque.) Je décidai de rester calme, de recourir à des méthodes 100% bio : concentration mentale, suggestion visuelle, puis musicothérapie (un Papa Wemba de derrière les fagots), ample respiration à la mode parturiente, un brin de savon doux à l'argan, enfin lecture intégrale du discours d'Obama au Caire. Damned, rien n'y fit !

Je filai alors sur Internet où, de témoignages perso en avis médicaux, j'optai pour une technique à l'ancienne, presque aussi vénérable que le clystère. Je cours donc jusqu'à l'officine – rectification, je marche posément sur l'asphalte de peur de déclencher la providentielle débâcle. Très compréhensive, la dame me conseille à mi-voix une thérapie plus moderne : des solutions unidoses prêtes à l'emploi et riches en laurylsulfoacétate de sodium. Je tairai ici la marque car, comme chacun sait, je suis publiphobe.

De retour chez moi, toujours au même train de sénateur, je règle ma minuterie, introduis en mon intimité rebelle l'embout de la canule qu'on me recommande de lubrifier avec la toute première goutte (je m'interdis évidemment toute pensée lubrique, seulement un vouloir thérapeutique) puis, confiant, je m'allonge en position fatale, pardon, fœtale. Patience et longueur de temps…

À l'heure dite (drelin drelin a fait le portable), légèrement stressé, je prends place sur le trône archiépiscopal et… léger dépit : je m'attendais à un tsunami, un nouveau Déluge mésopotamien ! Nenni, rien de cela, juste trois explosions brèves et sèches suivies de trois expulsions. Béate ataraxie : Dieu existe, Il m'a soulagé ! Titubant de bonheur, sifflotant l'allegro du quatuor pour flûte in D major KV 285 de Wolfgang dans l'interprétation sublime d'Aurèle Nicolet avec le Mozart String Trio, je tire la chasse lorsque… stupeur !

Barrage contre le Pacific ! L'eau monte, monte… mon postérieur blafard est en grand péril de noyade car la digue est bouchée. Derechef je retire. Re-Niet ! Juste trois esquifs, débris inespérés du vol AF 447. Alors, humiliation suprême, me voilà condamné à les repêcher un à un, puis de recourir encore à une autre bonne vieille méthode – la seule efficace, quoi qu'en dise Destop, Dieu me les choppe ! - je veux parler de la terrifique ventouse aux sidérants geysers et aux abjects gargouillis.

À l'heure où j'écris cette chronique, malgré ma béatitude rectale et ma foi intacte en la théologie de la Libération, je suis abattu : il est 14 heures, toujours pas rasé ni vêtu, l'estomac dans les talons, depuis plus de quatre heures je guerroie ! Ici une parenthèse : à propos de guéguerre, je signale que dimanche soir la téloche diffuse « Troie » sur France 3, alternative aux barbantes soirées électorales. Certes, ce n'est pas un péplum fameux mais je crois que je vais me laisser séduire par la blonde Hélène, je veux dire Prad Bitt à poil sous sa jupette. Certes, je l'admets, rien à voir avec les superproductions bibliques d'antan, Pinavision 70mm et son stéréophonique. Aujourd'hui, avec les figurants virtuels et le carton-pâte de synthèse, le charme est rompu, on n'y croit plus. « Peuh ! comme m'a dit ma concierge, ce n'est plus la vraie Grèce antique, juste un faux Grec en toc ! »

Simple digression. À chacun de voir et pour en finir avec ma mésaventure rien ne vaut la philosophie. C'est le bon côté de mon stress eschatologique : comme ma gageure est d'écrire ce que je vis et de vivre ce que j'écris, aujourd'hui, en fin de compte, j'ai vraiment expérimenté l'un de mes aphorismes les plus détonants, à la lettre T comme Transit : « L'angoisse métaphysique et l'obsession psychologique relèvent souvent de la simple constipation mentale. Le remède est naturel et aisé puisque le corps est un : à côlon débourré, cerveau libéré ! »*

En ces temps de déprime hexagonale et de débâcle électorale annoncée, c'est la pensée et la médication que je souhaite léguer à la postérité. Et aussi celles de mon maître Chamfort : « La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri. »


* in “Vous reprendrez bien un p'tit aphoricube ? ”142 aphorismes illustrés par Romain Boussard, Ed. Gap, 12 € pièce (port offert), opus vendu exclusivement par l'auteur sur simple demande via ce site.