IDÉAL CONJUGAL FAÇON PARIS-MATCH
Par Michel Bellin le jeudi 16 avril 2009, 10:42 - Lien permanent
Ouf ! Mon ordinateur est enfin en ordre de marche et Internet est à nouveau branché. C'est fou comme on se sent moins seul ! Merci, chère(e) internaute, de ta patience et de ta fidélité.
N'a-t-on pas assez claironné l'anniversaire du célèbre hebdo qui continue de faire sa fortune - et la pâmoison des concierges - avec le poids des mots et le choc des photos ! Est toujours à la une son conformisme social comme l'a bien analysé et décortiqué en son temps l'indémodable Roland Barthes (1915-1980). Dans son fameux ouvrage de référence qui décryptait les mythes de la société française, il analyse le parfait bonheur petit-bourgeois et la rassurante stabilité sociale à travers le cas du mariage exemplaire d'une « miss ».
« Michelle et Carla, le charme au sommet » titrait Paris-Match de la semaine dernière. Et, en pages intérieures : « Michelle Obama, c'est l'allure, la tenue…mais, par les temps cruels qui courent, on ne va pas se coincer les vertèbres pour le protocole. » Merci pour elles ! Comme on les envie et comme ces copines décontractées nous rassurent. Dormez, braves gens. Aujourd'hui, les people de 2009 reprennent le flambeau des miss des années cinquante : le statu quo social est sauf et Paris-Match gonfle son tirage lorsque, à travers la rencontre très cool de deux First Lady,'il sème la bonne parole de la connivence féminine et de son éternel pragmatisme !
N'a-t-on pas assez claironné l'anniversaire du célèbre hebdo qui continue de faire sa fortune - et la pâmoison des concierges - avec le poids des mots et le choc des photos ! Est toujours à la une son conformisme social comme l'a bien analysé et décortiqué en son temps l'indémodable Roland Barthes (1915-1980). Dans son fameux ouvrage de référence qui décryptait les mythes de la société française, il analyse le parfait bonheur petit-bourgeois et la rassurante stabilité sociale à travers le cas du mariage exemplaire d'une « miss ».
« Michelle et Carla, le charme au sommet » titrait Paris-Match de la semaine dernière. Et, en pages intérieures : « Michelle Obama, c'est l'allure, la tenue…mais, par les temps cruels qui courent, on ne va pas se coincer les vertèbres pour le protocole. » Merci pour elles ! Comme on les envie et comme ces copines décontractées nous rassurent. Dormez, braves gens. Aujourd'hui, les people de 2009 reprennent le flambeau des miss des années cinquante : le statu quo social est sauf et Paris-Match gonfle son tirage lorsque, à travers la rencontre très cool de deux First Lady,'il sème la bonne parole de la connivence féminine et de son éternel pragmatisme !
L'union de Sylviane Carpentier, Miss Europe 53, et de son ami d'enfance, l'électricien Michel Warembourg permet de développer une image différente, celle de la chaumière heureuse. Grâce à son titre, Sylviane aurait pu mener la carrière brillante d'une star, voyager, faire du cinéma, gagner beaucoup d'argent ; sage et modeste, elle a renoncé à « la gloire éphémère » et, fidèle à son passé, elle a épousé un électricien de Palaiseau. Les jeunes époux nous sont ici présentés dans la phase postnuptiale de leur union, en train d'établir les habitudes de leur bonheur et de s'installer dans l'anonymat d'un petit confort : on arrange le deux-pièces cuisine, on prend le petit déjeuner, on va au cinéma, on fait le marché.
Ici l'opération consiste évidemment à mettre au service du modèle petit-bourgeois, toute la gloire naturelle du couple : que ce bonheur, par définition mesquin, puisse être cependant choisi, voilà qui renfloue les millions de Français qui le partagent par condition. La petite-bourgeoisie peut être fière du ralliement de Sykviane Carpentier, tout comme autrefois l'Eglise tirait force et prestige de quelque prise de voile aristocratique : le mariage modeste de Miss Europe, son entrée touchante, après tant de gloire, dans le deux-pièces cuisine de Palaiseau, c'est M. de Rancé choisissant la Trappe, ou Louise de La Vallière le Carmel : grande gloire pour la Trappe, le Carmel et Palaiseau !
L'amour-plus-fort-que-la-gloire relance ici la morale du statu quo social : il n'est pas sage de sortir de sa condition, il est glorieux d'y rentrer. En échange de quoi, la condition elle-même peut développer ses avantages, qui sont essentiellement ceux de la fuite. Le bonheur est, dans cet univers, de jouer à une sorte d'enfermement domestique : questionnaires « psychologiques », trucs, bricolages, appareils ménagers, emplois du temps, tout ce paradis ustensile d'Elle ou de l'Express glorifie la clôture du foyer, son introversion pantouflarde, tout ce qui l'occupe, l'infantilise, l'innocente et coupe d'une responsabilité sociale élargie.
« Deux cœurs et une chaumière. » Pourtant, le monde existe aussi. Mais l'homme spiritualise la chaumière, et la chaumière masque le taudis : on exorcise la misère par son image idéale, la pauvreté.
R. Barthes, Mythologies, Points essais, p. 48-49, Editions du Seuil.
Ici l'opération consiste évidemment à mettre au service du modèle petit-bourgeois, toute la gloire naturelle du couple : que ce bonheur, par définition mesquin, puisse être cependant choisi, voilà qui renfloue les millions de Français qui le partagent par condition. La petite-bourgeoisie peut être fière du ralliement de Sykviane Carpentier, tout comme autrefois l'Eglise tirait force et prestige de quelque prise de voile aristocratique : le mariage modeste de Miss Europe, son entrée touchante, après tant de gloire, dans le deux-pièces cuisine de Palaiseau, c'est M. de Rancé choisissant la Trappe, ou Louise de La Vallière le Carmel : grande gloire pour la Trappe, le Carmel et Palaiseau !
L'amour-plus-fort-que-la-gloire relance ici la morale du statu quo social : il n'est pas sage de sortir de sa condition, il est glorieux d'y rentrer. En échange de quoi, la condition elle-même peut développer ses avantages, qui sont essentiellement ceux de la fuite. Le bonheur est, dans cet univers, de jouer à une sorte d'enfermement domestique : questionnaires « psychologiques », trucs, bricolages, appareils ménagers, emplois du temps, tout ce paradis ustensile d'Elle ou de l'Express glorifie la clôture du foyer, son introversion pantouflarde, tout ce qui l'occupe, l'infantilise, l'innocente et coupe d'une responsabilité sociale élargie.
« Deux cœurs et une chaumière. » Pourtant, le monde existe aussi. Mais l'homme spiritualise la chaumière, et la chaumière masque le taudis : on exorcise la misère par son image idéale, la pauvreté.
R. Barthes, Mythologies, Points essais, p. 48-49, Editions du Seuil.